Red Dead Redemption (PS3)

Une narration aux plaies rouge sang

Je n'ai pas terminé Red Dead Redemption sur PS3. Je l'ai arrêté après avoir complété 38 missions sur 57. Je l'ai arrêté parce qu'il me saoulait et que je n'y prenais aucun plaisir. Je l'ai arrêté parce qu'en y jouant, j'avais l'impression de perdre mon temps.

Je reconnais n'avoir trouvé aucun intérêt au jeu. Ce que je recherche c'est de la narration et de ce point de vue le jeu ne m'a rien apporté.

Précisons d'emblée qu'il s'agit globalement d'un GTA-like au Far West. Globalement parce qu'il y a des choses qui changent, liées à l'univers ou pas. Les voitures sont remplacées par des chevaux (ce qui tient à l'univers choisi) mais on note aussi l'apparition de deux jauges, une de réputation et l'autre d'honneur, qui influent sur divers paramètres allant du prix des objets dans un magasin au comportement des gens à notre égard (j'ai pas trop de détails là-dessus).

Je disais donc que le jeu ne m'a rien apporté en terme de narration. D'abord ce qui se passe entre les missions, c'est à peu près complètement coupé du scénario du jeu. On peut dire que l'histoire continue à chaque cinématique d'introduction d'une mission, et qu'elle se met sur pause à la fin de la cinématique de conclusion d'une mission – qui ne se termine jamais sur un suspens. C'est-à-dire que le jeu se refuse à complètement nier dans son scénario ces phases de pause entre missions. En conséquence, chaque mission, même si c'est un petit morceau d'un grand tout, introduit et boucle ses propres enjeux. De fait chaque mission est relativement indépendante (relativement parce qu'encore une fois, chacune est une étape pour arriver à l'objectif principal du personnage – je peux citer toutes les missions de la première partie du jeu qui visent à préparer l'assaut du Fort Mercer, ou encore celles du Mexique qui visent à découvrir la planque de Bill Williamson) et le jeu ne se permet pas d'ouvrir et de ne pas boucler dans une même mission une situation de crise qui rendrait forcément incohérente la liberté retrouvée du personnage à l'issue de celle-ci, et le temps potentiellement infini qu'il pourra passer à faire sa propre histoire (se balader, s'adonner à des activités annexes). De même, les personnages font référence lors des cinématiques d'introduction de mission à ce qu'a pu faire John Marston depuis la dernière fois qu'ils se sont vus, et ils semblent tout le temps ne pas s'être vus depuis quelques jours même si le joueur a relancé immédiatement le personnage à l'issue de sa mission précédente.

Donc en fait, le jeu laisse une grande liberté au joueur entre deux missions, et il fait attention, à défaut de prendre en compte dans son écriture la nature des agissements du joueur pendant sa « liberté », à considérer cette liberté dans les cinématiques (par des allusions des autres personnages auxquelles John répond vaguement) et à lui attribuer une durée de plusieurs jours. Quand je parle de la nature des agissements du joueur, j'entends la moralité de ses actes, le fait qu'il ait dressé des chevaux, le fait qu'il n'a fait que se balader, le fait qu'il a ramassé des plantes, etc. Tout ceci appartient au joueur et n'a pas d'impact sur le scénario.

Le problème, parce qu'il y en a un, de ce procédé, c'est que toute tension qui pourrait se poursuivre entre deux missions est bannie par les auteurs. Ça évite bien sûr au jeu, qui a pris le parti de « libérer » le joueur après chaque mission, de grosses incohérences (dans lesquelles tombent à l'occasion un Yakuza). Par exemple, si à l'issue d'une mission, on apprenait qu'un personnage important pour le héros était sur le point d'être pendu, genre dans les 30 minutes, le jeu ne pourrait se permettre de « libérer » Marston qu'au prix d'une grosse incohérence. Potentiellement le joueur pourrait s'adonner à mille et une choses, le poker, la chasse à trésor, et du coup flinguer complètement la narration. C'est un écueil dans lequel tombe parfois la série des Yakuza mais qu'elle arrive cependant à surmonter (une petite ville ouverte, mais une histoire qui est là en permanence et qui ne laisse libre le joueur de se consacrer aux annexes qu'à certains moments – parfois ils sont mal choisis, d'où incohérence, parfois ils sont bien choisis, et à ce moment-là, alors que le personnage a du temps à tuer, la narration ne sera pas mise à mal par tout ce que peut amener la liberté du joueur à s'adonner à toutes les activités secondaires que propose la ville).

Pour résumer, le problème que m'a posé Red Dead Redemption c'est d'abord un manque patent de suspens. Chaque mission n'ouvrait que de petits enjeux qui étaient bouclés à la fin de celle-ci. Le seul vrai enjeu de la première partie, c'est l'attaque du Fort Mercer, et il faut souffrir pour y arriver je ne sais combien de missions insignifiantes qui ne sont pas reliées entre elles. Ça me fait penser, c'est comme ces séries où on attend avec impatience un événement ou un rebondissement du fil rouge, et on doit souffrir avant d'y arriver plusieurs épisodes « stand alone ». La différence avec RDR, c'est que ce fameux événement ou rebondissement, je l'attends avec impatience dans une série. C'était pas le cas dans RDR. Honnêtement, l'attaque du Fort Mercer, j'en avais un peu rien à faire. L'écriture du jeu n'est pas du tout arrivé à m'impliquer moi dans cet enjeu du héros. En fait je me fiche pas mal qu'il retrouve Bill Williamson, c'est ça le problème. Je ne suis pas scénariste, mais je pointe du doigt le fait que ça m'indifférait – c'est qu'il doit y avoir un problème quelque part. Certains jeux/films/séries arrivent très bien à m'impliquer dans l'histoire, à me faire partager ces enjeux vitaux du personnage qui sont le moteur d'une histoire. Je repense au dernier exemple en date qui m'a marqué, je le ressors à toutes les occasions : la course-poursuite pour sauver Xiu dans Kane & Lynch 2, j'étais à fond dedans. Retrouver Bill Williamson ? Mais j'en avais absolument rien à faire quoi.

Là où le jeu ne m'a rien apporté non plus en terme de narration c'est le gameplay.

Citation d'un article de Merlanfrit :

Selon la fameuse phrase du game designer Sid Meier un bon jeu est « une suite de choix intéressants ». Un choix est intéressant à plusieurs conditions, il détaille cette affirmation ainsi : il ne doit pas y avoir une option clairement meilleure que les autres (sinon le choix est facile à faire), mais les options ne doivent pas être toutes également satisfaisantes (sinon le choix est ennuyeux), et le joueur doit pouvoir effectuer son choix en connaissance de cause (pour éviter l’impression de hasard ou de triche). En bref un choix c’est de la réflexion et de la prise de risque.

Fin de citation.

Je pense qu'un gameplay peut raconter des morceaux d'histoire (nous donner à ressentir par exemple comment c'est pour le héros de vivre une scène d'action Y) en nous donnant une suite de choix non seulement intéressants mais aussi pertinents dans leur nature par rapport à ce qu'on cherche à nous raconter.

Or le problème de RDR, c'est déjà que ses scènes de jeu ne nous confrontent pas à des choix intéressants, mais en plus que certains de ces choix ne sont pas pertinents par rapport à ce qu'on cherche à nous raconter. Je pense à la jauge de sang froid qui permet de ralentir le temps pour marquer des points sur une cible qu'ensuite notre personnage va automatiquement shooter. Je ne vois pas en quoi ce concept de sang froid me rapproche du personnage. John Marston n'est pas censé être un super héros capable de ralentir le temps autour de lui, de regarder certains points sur les ennemis, et ensuite que son fusil tire tout seul dessus. C'est typiquement une idée de gameplay abstraite, qui ne participe pas à nous faire vivre ce que vit le personnage.

Quand je parle de choix qui ne sont pas intéressants, je fais référence aux fusillades et aux balades à cheval. De la réflexion et de la prise de risque, j'en ai pas beaucoup vu dans ces séquences.

Les fusillades sont simplistes. Le système de couverture est très efficace, les ennemis et leur cadence de tir sont lents ; c'est juste trop simple de s'en sortir et ça ne fait jamais appel à de la réflexion ou de la prise de risque. Tu campes en fumant ta clope et ça marche. D'autant plus qu'on a souvent des alliés et que le sang froid, dans toute situation nous mâche le travail.

Les longs déplacements à cheval auraient pu faire l'objet de choix intéressants, mais là encore c'est aller à l'usine presque. Tant que tu ne tombes pas d'une falaise et que t'arrêtes d'appuyer à répétition sur croix avant que la jauge d'endurance du cheval se vide, il n'y a aucun souci.

Il y a pas mal de détails qui m'ont gêné en outre dans ce jeu. Les poils des personnages, je les ai trouvé très mal faits. Le père de Bonnie par exemple, il a une barbe immonde qui ne ressemble à rien et vaguement vert fluo. Notre personnage, John, il a le visage perdu entre des poils hirsutes et des cicatrices, si bien que j'ai trouvé qu'il ne ressemblait à rien. Les dialogues et leur teneur, avec John qui se pose en sage cynique qui apprend la vie à tout le monde, pitié. Dan Houser, arrête, dans chaque jeu tu réécris la même chose. Les cinématiques, je les ai trouvées mais nulles… Elles semblent n'être là en fait que pour mettre des images sur les dialogues. D'ailleurs elles ne sont faites que de dialogues, aucun silence dans les cinématiques. Tout ce que met en scène Rockstar, ce sont des dialogues, et je ne dis pas non plus qu'ils le font bien. Premièrement parce que les expressions faciales sont vraiment timides (rien à voir avec un Yakuza, mais rien à voir) et que les metteurs en scène ne savent pas quoi faire avec le cadre et le corps des personnages. Ils les font gesticuler n'importe comment et ils filment ça n'importe comment. Comment arriver à prendre encore le jeu au sérieux après avoir vu une cinématique avec West Dickens ? Le type fait des moulinets avec ses bras et ses mains, des pas de danse de mec bourré, et tout ça pour débiter des trucs insignifiants. C'est grave le niveau.

La réalisation souffre d'aliasing et d'une résolution à la rue. Il y a une option pour désactiver le centrage automatique de la caméra, vous savez c'est ce qui fait que quand notre personnage tourne à gauche la caméra tourne aussi à gauche automatiquement. Le problème c'est que ces mouvements automatiques rentrent en conflit avec le mouvement que nous on imprime sur le stick droit, du coup j'ai désactivé l'option (cool) par contre à cheval c'est injouable parce que croix pour avancer et le stick droit en même temps c'est pas possible (pas cool).

Il y a tout de même un passage du jeu qui m'a surpris en bien, c'est l'arrivée au Mexique. Pour la première fois dans un jeu Rockstar, l'histoire continue APRÈS la fin d'une mission, dans l'espace normalement de liberté du joueur. Sous la forme d'une chanson, qui démarre alors qu'on pose pour la première fois le pied sur le territoire mexicain et qu'on se dirige à cheval vers la première ville à notre portée (ça c'est mon expérience). Bien sûr moi quand le jeu décide de jouer une chanson, c'est qu'il me raconte comment se sent le personnage. Et avoir de la narration, soudainement, dans cet espace où il n'y en a jamais c'était – waow. Et c'est un espace immense, géographiquement gigantesque que celui que nous laisse le jeu entre deux missions. Subrepticement, pendant deux minutes, j'ai eu un aperçu de ce que pourrait être une vraie narration dans un monde ouvert. Et bordel, ça fait envie. Moi je rêve d'un GTA linéaire. Je rêve d'une aventure linéaire, prenant place dans un monde ouvert. Le monde ouvert, c'est un truc technique, mais qui donne une cohérence folle à un univers. Et jusque là les jeux n'ont pas exploité cette technique pour sublimer la narration. Yakuza, la ville est petite et même par moment, l'histoire se passe dans des endroits qu'on ne peut pas visiter normalement. InFamous c'est peut-être l'un des jeux à avoir touché le plus près cette possibilité mais c'est pas encore ça. Moi je rêve d'une aventure sous tension, où on doit faire gaffe au moindre mouvement et où on ne peut pas conduire de véhicule, dans une ville aussi grande que GTA IV et sans aucune liberté laissée au joueur hors de l'histoire. Genre on est le most wanted du FBI à New York et on a des enjeux mais genre, trop importants pour le personnage, que le jeu arrive arrive trop bien à nous faire partager. OMG OMG.

Enfin. Red Dead Redemption m'a donc bien ennuyé et j'ai finalement décidé de l'arrêter et de le revendre.

Dernière note : je réagis à un commentaire écrit sur Sens Critique :

Je pense que les OW gagneraient à sacrifier un peu la liberté au profit d'une histoire plus condensée/intense et homogène.

Le pire pour l'immersion narrative dans ce jeu c'est la scission entre mission/scénario et liberté/pause. En gros à chaque fin de mission on finit bien vite par comprendre qu'on SORT de l'histoire, ni plus ni moins. Forcément R*, pour plaire au plus large public possible, n'a jamais eu le courage de se concentrer sur UNE aventure qui commence quand tu lances le jeu et s'arrête au générique de fin. Non il faut mettre des dizaines et des dizaines d'aventures sur le disque : éleveur de cheval, chasse au trésor, etc, en mettant sur PAUSE l’intrigue à la fin de chaque mission. Et bien sûr le suspens et la tension sont les grands perdants de cette volonté de plaire au plus grand nombre.

Idéalement, avec leurs mondes ouverts, on devrait avoir droit à des histoires sans ellipses, sans pauses, où on ne décroche pas des basques du personnage principal. Or la forme actuelle implique de justement quitter le héros et ses enjeux à chaque fin de mission, pour pouvoir n'en faire qu'à sa guise, reprendre le contrôle et s’en servir comme d’un avatar pour s’amuser au Far West.

Les développeurs devraient aussi bannir le GPS du coin inférieur droit de l'écran et penser l'environnement et les dialogues de façon à ce qu'on doive se repérer dans le décor. Ce ne serait plus : « va à Daisy Town -> je rejoins la croix rouge sur le GPS », mais à la place : « va à Daisy Town, pour cela passe par le col en forme de U que tu peux apercevoir d'ici, puis traverse la forêt en suivant le vieux chemin en terre barré à l'entrée -> je fais ce qu'il me dit en observant mon environnement ».

Verdict = dispensable

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