Uncharted 2 (PS3)
Par Pierre Compignie le jeudi 9 septembre 2021, 05:56 - Archives
Ces jours je joue peinardement à Uncharted 2 pour le terminer en mode extrême. Ca doit bien être la troisième ou quatrième fois que je le fais au total. Je pense : vu tout le mal que j’ai pu dire sur le jeu, est-ce que je suis vraiment honnête ? Est-ce que je ne l’aime pas quand même un peu cet Uncharted ? Le texte de BlackLabel sur MotorStorm Apocalypse, « dans Uncharted 2 un bon jeu se cache sous la couche de spectaculaire pour vendre » m’a mis la puce à l’oreille. Donc là j’y joue et je cherche à comprendre la vraie nature de mon rapport avec Uncharted.
Déjà, sur l’argument du « si j’y joue plusieurs fois, c’est que je kiffe » j’ai plusieurs choses à dire. D’abord oui j’aime bien, QUAND MÊME, jouer à Uncharted. C’est un jeu fonctionnel, un challenge pas trop trop con dans les affrontements en arène, un peu tactique, un peu précis, pas frustrant, procurant une petite dose de satisfaction à intervalles réguliers. C’est aussi un jeu qui propose de nombreux modes de difficulté et de nombreux défis. Et là, un constat s’impose : il y a plein de jeux que je fais plusieurs fois. Les deux Medal of Honor, Max Payne 3, Uncharted 1, Duke Nukem Forever, soit en fait tous les jeux d’action de cette génération qui tracent notre progression dans les différents modes de difficulté, offrent plein de défis à relever et se laissent jouer facilement grâce à des points de passages relaxant pour les nerfs. Après il suffit que le jeu demande de le faire une voire plusieurs fois pour débloquer tous les modes de difficulté, et / ou que j’aie supprimé mes sauvegardes à l’époque, pour faire rapidement monter le compteur de parties nécessaires pour tout compléter. Où je veux en venir, c’est que tous ces jeux sont loin d’avoir une réputation de chef d’oeuvre, que moi-même je ne les adore pas et que donc ce n’est pas parce que je parcoure quatre fois un jeu que je le considère comme une réussite incontournable. Ou alors il faudrait dire que je pense cela également de Medal of Honor Warfighter.
Deuxièmement, je constate qu’en m’approchant de ma télé je trouve le jeu plus beau ! Sa finesse m’impressionne plus. J’ai une télé 32 pouces depuis 9 ans et j’y joue à une distance raisonnable pour les yeux. Mais en m’approchant je réalise plus la finesse graphique des décors, perçois plus les détails, etc.
Reste à aborder ce qui me fâche avec Uncharted 2. En gros je trouve le jeu loin d’être excellent (en tout cas pas vraiment meilleur que les autres jeux cités plus haut dans ce texte) et donc qu’il ne mérite absolument pas les éloges démesurés qu’il a reçus. C’est injuste et ça m’énerve.
Ce qui me pose notamment problème avec Uncharted 2, c’est son esthétique générale méga vue et revue. Un passage dans la glace ? L’image sera bleutée. Une ancienne statue qui doit faire peur ? Le motif aperçu mille fois du gros gars avec une grande bouche, de grands yeux et de grandes dents. C’est l’esthétique de l’exotisme, pompée sans vergogne de l’inconscient populaire et recrachée consciencieusement sans génie ni créativité aucune. Voilà le problème d’Uncharted. Son héros est un type on ne peut plus passe-partout : un américain brun, à la coiffure genre on ne peut plus classique (le gars pourrait être banquier, maçon ou entraîneur de foot que ça passerait pareil) et à la carrure typique de la « Hollywood American Way of Life » soit bien baraqué et faisant style que c’est naturel, sans qu’il ait à s’entretenir plus que cela. Bien sûr il est faussement sensible, prend finalement tout ce qu’on peut lui dire ou faire avec distance (pas d'aspérités) et il a toujours une petite remarque ironique à balancer pour mettre en scène son personnage de faux maladroit. Le jeu nous le montre faire des exploits physiques et militaires de dingue mais le personnage continue de faire des commentaires à la con du genre « olala je vais tomber » façon fausse modestie, comme le gars au lycée qui en sortant de devoir surveillé fait genre il a tout raté alors qu’il va se payer un 18. Censé être gentil et aimé de tous, il ne fait pourtant pas bien cas des attentions de Chloé et d’Elena autour de lui. Bref Nathan Drake est un type effectivement pas du tout extraordinaire, tellement pas extraordinaire en fait qu’il en est inintéressant voire ennuyeux, parce que moins qu’un personnage c’est un cliché, un fantasme bancal de héros qui serait à la fois ultra performant militairement et physiquement mais sortirait des tirades pas drôles en permanence comme s’il n’avait aucune conscience de lui-même, qu’il voulait « jouer au maladroit » alors qu’il est tout sauf maladroit justement. Une espèce d’hypocrite sans que les développeurs l’aient prévu ainsi, comme si le scénariste n’avait pas joué au jeu. Pour avoir revu récemment Piège de cristal, Die Hard, avec le fameux John McClane, ce dernier est un personnage tout à fait différent : il est vraiment maladroit pour certaines choses, il est vraiment félin pour d’autres, il est vraiment méchant certaines fois et il a vraiment un grand coeur. C’est un type avec du relief, défini par des contradictions et des extrêmes opposées. Nathan Drake c’est l’inverse : ni très gentil, ni très méchant, ni très fort, ni très bête. Un milieu chiant.
Le problème du personnage ne touche pas que son écriture, il touche aussi son corps. Esthétiquement ce dernier est insignifiant, standard, remplaçable par mille autres. Naughty Dog a cherché, comme pour les décors, à créer un aventurier passe-partout « tel qu’on se le représente » au lieu de créer « leur » aventurier ; comme ils ont cherché à faire des décors « de films d’aventure » plutôt que de vrais décors originaux. C’est le syndrome de la pâle copie : Nate, par rapport à Indiana Jones, est moins sexy, moins macho, moins charismatique, moins tout. A la fois moins gentil et moins méchant que McClane. Un type oubliable avec une tête de gendre idéal auquel il est bien difficile de s’identifier parce qu'il n'exprime rien.
Pour les décors c’est la même logique : plus l’impression de visiter un pot-pourri de régurgitations de pop culture que de vrais environnements nouveaux et intéressants. Les tons de couleur, les lieux visités font tous ressassés, peu originaux. La jungle et son tombeau souterrain font même carrément repris du premier Uncharted. Le niveau de détail à l’écran est remarquable, mais il subsiste pour moi un sentiment de faux : on déplace Nathan quasiment sur un rail, sur un chemin bien précis dans les niveaux, et le monde du jeu ne semble modélisé que du point de vue de ce rail (ou que vu de ce chemin). Je n’ai jamais le sentiment avec Uncharted 2 de me déplacer dans un vrai monde en 3D qui existe au-delà de chaque salle ou arène. Plus sur une succession de « scènes » collées entre elles, y compris et surtout au sein d’un même niveau. Par exemple dans le chapitre « réunion » quand à la fin un plan nous montre l’arbre du début avec l’entrée qui s’est ouverte, j’étais réellement surpris qu’il soit présent dans le même environnement 3D. Preuve que les développeurs ont vraiment fait un mauvais job à nous transmettre la géographie des lieux traversés.
Physiquement ensuite le corps de Nathan Drake pose problème parce qu’il est trop léger. Tous les personnages du jeu sont soit trop légers, soit trop forts : il faut voir comme ils arrivent à se rattraper in extremis mutuellement lors d’une chute supposément fatale. Voir les héroïnes frêles récupérer d’un seul bras la grosse carcasse de Drake ce n’est pas très crédible, peu importe le ton du jeu. Drake est donc trop léger visuellement dans les cinématiques, mais aussi en jeu, où il grimpe comme un petit singe et se retourne sur lui-même en courant au quart de tour. Parlons des animations. L’antique Lara Croft montrait plus son poids que Drake quand elle marchait. Elle ne pouvait pas se retourner aussi vite et la course instantanée dans tous les sens il ne fallait pas lui en parler. Pour moi c’était une bonne chose, car on devait composer avec le corps de Lara. Le corps de Drake lui, les développeurs font tout pour nous le faire oublier, en cherchant à gommer toute frustration ou difficulté qui pourrait naître de son contrôle. La conséquence c’est que Drake existe bien moins que Lara Croft, car il est du point de la physique insignifiant.
Naughty Dog a vanté son système d’animations pour Drake qui permet de combiner à la fois plusieurs animations, du style courir et recharger. Ce que je constate moi c’est que bien souvent en déplaçant Drake ses animations sont frénétiques et font plus beuguées qu’autre chose. Il suffit de le faire avancer vers un petit tas surélevé pour voir son corps perdre les pédales. Les barrières invisibles étant légion, on se retrouve facilement à être bloqué sur rien ou à voir Nathan bloquer son saut dans le vide. Les animations ont beau être comme on a pu le lire très détaillées, elles n’en sont pas moins très souvent confuses, brouillonnes et dans le cas où l’on s’aventure sur une portion de terrain pas standard (une bosse, un talus, un tas d’objets, une barrière invisible), alors tout bonnement ratées.
Le grand méchant du jeu est un méchant militaire comme on l’imagine : baraqué (plus que le héros), balafré, chauve, accent russe et faire-valoir du héros. Quand il dit dans une cinématique à son acolyte « ne tue pas Drake tout de suite, je veux qu’il voie la cité perdue et qu’il meure en sachant que c’est moi qui mets la main dessus » je me dis d’une part qu’il fait à Drake bien trop d’honneurs, d’autre part qu’il a beau ne quasiment pas connaître Drake il est déjà psychologiquement tout entier voué à son anéantissement, au point même de mettre ses propres plans en péril (soyons réalistes deux minutes, si Lazarevic a suivi un peu ce qui s’est passé il devrait savoir que chaque seconde supplémentaire laissée à Drake est une occasion pour ce dernier de tuer deux de ses hommes, donc faudrait commencer à s’affoler).
Avec Elena les développeurs n’ont pas pris de risque non plus : ils livrent un personnage ultra passe-partout, une blonde ni trop jolie ni trop moche, bienveillante avec le héros, bien sous tous rapports. Chiante.
J’ai lu beaucoup de bonnes choses sur le passage du village tibétain mais là encore je n’ai pas aimé. Désolé. Naughty Dog s’est clairement inspiré de Shenmue mais n’est pas arrivé à sa cheville. Plusieurs raisons : pas de musique, un personnage à baffer, des déplacements et une caméra sans majesté. Shenmue (2) c’était une alchimie miraculeuse entre une musique et des sons qui te faisaient croire à Hong Kong, et une maniabilité et une caméra qui te forçaient à y être. Tu ne pouvais pas courir en tournant sur toi-même frénétiquement comme un chaton court après sa queue. Tu ne pouvais pas faire faire des rotations inesthétiques en diable à la caméra, la baisser, la monter, la coincer derrière un muret par terre. Tu ne pouvais pas car les développeurs de Sega AM2 maîtrisaient leur produit et savaient que pour donner de la majesté à leur environnement et te faire sentir tout petit comme un étranger dans une grande ville, cela passait nécessairement par t’interdire une trop grande liberté sur L’IMAGE. Quitte à te frustrer parce que le jeu ne répond pas à la seconde au moindre de tes désirs de déplacement du héros ou de la caméra qui le suit. Sega AM2 savait et osait contrôler l’image, le cadre, quand Naughty Dog dans cette séquence hommage du village tibétain se borne à, 1) limiter la vitesse de déplacement, 2) faussement interdire les sauts. Faussement car si on ne peut plus sauter sur place, et qu’on pense donc légitimement que la touche Croix de la manette est désactivée, on peut tout de même sauter pour se hisser sur une corniche, en se trouvant en-dessous. Logique… Les animations diminuent elles aussi considérablement le spectacle puisque Nate étant toujours Nate, on tourne toujours trop facilement sur soi-même et on se bloque sur nombre d’éléments du décor sans vraiment comprendre. Pour moi ce passage est un ratage total et une démonstration par les développeurs de Naughty Dog qu’ils ont encore beaucoup à apprendre et comprendre sur le média jeu vidéo.
Je reconnais volontiers que Uncharted 2 se laisse bien jouer, que techniquement c’est propre et une belle démonstration de ce qu’on peut faire sur Playstation 3 ; mais esthétiquement le jeu se vautre. Je repense à cet effet de profondeur de champ utilisé n’importe comment, qui floute parfois sans aucune raison les montagnes en arrière-plan… De bons ingénieurs chez ND mais plus loin je ne sais pas. L’esthétique et les personnages sans identité, la plate-forme absurde avec ces tuiles peintes en blanc disposées là n’importe comment… Heureusement le jeu est un challenge sympa voire chouette, particulièrement quand je me retrouve à manquer de munitions avec mon arme principale et à devoir finir les ennemis au Desert Eagle. Le fait qu’il y ait des ennemis sur lesquels on doit tirer plusieurs fois sur le casque pour leur faire sauter est une bonne idée. Le fusil M4 est particulièrement gratifiant car précis mais avec de la dispersion, donc réservé aux tireurs d’élite. Réussir une arène avec cette arme est souvent assez spectaculaire. Il n’y a pas de gros génie dans U2 mais cela se laisse bien faire. Je pense de toute façon qu’ils n’ont pas trop poussé la proposition ludique : le gros du travail se situe sur la réalisation des environnements et des différents scripts du jeu, les destructions, course-poursuites, etc. Le Third Person Shooter dans Uncharted 2 aurait gagné à être plus ambitieux, plus gonflé, même s’il est divertissant en l’état. A ce niveau je me demande si je ne préfère pas le premier Uncharted, peut-être plus consistant en terme de fusillades. Et l’unité de lieu était bien aussi.
En définitive Uncharted 2 est un jeu plaisant avec une forte replay value, à ranger aux côtés (et non pas au-dessus…) des autres jeux de tirs de sa génération : les sympathiques Medal of Honor, Dead to Rights Retribution, Singularity, Max Payne, Killzone, Inversion et compagnie. Qui, s’ils brillent moins en tant que vitrine technologique et modèle de finition, apportent bien souvent plus dans le fond, que ce soit en terme d’interaction, d’esthétique ou d’écriture, que Uncharted 2.
Verdict = ok