The Forgotten City (PS5)
Par Pierre Compignie le mercredi 10 novembre 2021, 19:53 - Critiques toute neuves
Développé par : MODERN STORYTELLER
The Forgotten City est un jeu d'aventure énigmatique mêlant exploration et déduction. C'est une version revisitée du mod acclamé par la critique qui a remporté un prix national de la Writers' Guild et qui a été téléchargé plus de 3 millions de fois.
Le combat est une option, mais la violence ne vous mènera pas loin. Ce n'est qu'en interrogeant une communauté de personnages hauts en couleur, en exploitant intelligemment la boucle temporelle et en faisant des choix moraux difficiles que vous pourrez espérer résoudre ce mystère épique. Ici, vos décisions ont des conséquences. Le destin de la cité est entre vos mains.
• Explorez une cité romaine antique dans un monde ouvert à l'architecture, à l'art, aux costumes et aux coutumes historiquement authentiques
• Enquêtez sur un mystère captivant en perpétuelle évolution et aux dénouements multiples
• Liez-vous avec des personnages très détaillés et profondément interactifs
• Faites face à des dilemmes moraux aux conséquences potentiellement tragiques
• Incarnez le personnage que vous souhaitez. Choisissez son sexe, son origine et son histoire
• Résolvez les problèmes en faisant usage de raison, de charme, de corruption, d'intimidation, de violence ou en exploitant intelligemment la boucle temporelle[1]
J’aime bien l’idée de la boucle temporelle dans les fictions. Revivre sans cesse la même journée tragique pour essayer d’anticiper tous les problèmes avant qu’ils n’arrivent. Le début de The Forgotten City, c’est un peu ça et j’ai aimé. J’ai aimé trouvé des solutions concrètes, puis, en recommençant la journée, pouvoir confier ces tâches à un brave type honnête et fiable (Galérius). Très bonne idée pour éviter une répétition rébarbative des mêmes actions.
Le concept c’est qu’on est un quidam de 2021 prisonnier d’une ville romaine souterraine secrète à l’époque de l’Antiquité. Cette cité vit sous le joug d’une règle mystérieuse gravée sur les murs, la Règle d’or, qui prédit la mort de tous les habitants de la cité si un seul d’entre eux commettait un péché. Comme on s’est retrouvé ici parce que le magistrat nous a invoqué dans un moment futur où la Règle d’or serait enfreinte, il s’agit d’identifier ceux qui vont commettre un péché et les arrêter avant qu’ils ne le fassent. De cette façon, le magistrat ne nous invoquera jamais, cela créera un paradoxe temporel et l’on reviendra à notre époque.
...MAIS BIEN SÛR. Pas convaincu par cette dernière partie mais soit : enquêtons et trouvons les futurs criminels avant qu’ils ne perpètrent leur forfait. Parlons à tout le monde patiemment et comprenons cette ville et sa vingtaine de citoyens vaquant tous à leurs occupations. C’est emballant, non ?
Oui, sauf qu’en fait, la résolution de l’intrigue est au final d’une bêtise sans nom. Peu importe tout ce que l’on peut faire dans la ville, toutes les injustices que l’on peut réparer, tous les péchés que l’on peut éviter ; ce qu’il faut, c’est trouver quatre plaques pour les mettre sur l’obélisque qui surplombe la cité et ouvrir ainsi le temple fermé. Dedans, on rencontrera nul autre que Pluton, dieu des enfers, et sa femme gelée, Proserpine. Il s’agit alors de « casser » Proserpine avec l’arc, pour récupérer son chapeau, s’enfuir, recommencer la journée et retourner voir Pluton, cette fois en brandissant le chapeau de sa femme pour le menacer et le contraindre à mettre fin à la Règle d’or.
Problem solved.
J’étais très déçu. Je m’attendais vraiment à pouvoir trouver une façon perenne d’empêcher la Règle d’or d’être brisée, en travaillant chaque citoyen, mais les choix de dialogue à ma disposition ne l’ont pas permis.
Par exemple, une fois que Galérius est élu magistrat, les seuls points de tension qui restent sont Duli (qui vole un objet précieux 30 secondes après sa sortie de prison, sauf si on lui bloque le chemin et qu’un bug le rend immobile à jamais – oui oui cela m’est arrivé mais pas de paradoxe pour autant) et Sentilla (la prisonnière qui soit mourra, soit tuera son père). Moi je vois deux solutions très logiques. On laisse Duli en prison, seul moyen pour s’assurer qu’il ne déchaînera pas l’apocalypse dorée ; et on fait juger le magistrat par Galérius, preuves à l’appui, pour le mettre ensuite en prison. Problèmes réglés, et de façon un peu plus élégante et « méritée » que ce les développeurs nous obligent à faire.
Parce que les développeurs voulaient forcément que l’on règle tout en faisant chanter le dieu des enfers, qui claque alors des doigts, fait un gros RESET des familles et tout est résolu. Même le méchant magistrat, son compte est réglé sans que l’on intervienne. Je trouve ça trop simple, bourrin et crétin en fait. Tout le côté minutieux, intelligent, érudit, disparaît au profit d’une stratégie de sauvage qui fonctionne à la perfection et ne requiert pas la moindre finesse d’exécution. De plus, est-ce qu’on peut vraiment concevoir ce dieu Pluton infoutu de nous empêcher de quitter son temple en vie ? La facilité déconcertante avec laquelle je me suis échappé est insensée.
C’est bête car le vidéogiciel m’a longtemps laissé croire que j’œuvrais pour un meilleur lendemain dans la cité antique, un futur pérenne sans tensions mortelles. Faire élire Galérius au poste de magistrat m’apparaissait comme une belle idée, car c’est un homme juste reconnu par ses pairs. En fait, son élection est purement utilitaire : Galérius ordonne la libération de Duli, un garde ouvre sa cellule et l’on peut alors récupérer à l’intérieur une des 4 fameuses plaques pour restaurer l’obélisque. J’ai réalisé que le vidéogiciel, cruellement, avait une seule résolution en tête et que tous les choix ne s’inscrivant pas dedans étaient aux abonnés absents. Ce qui au cours de mon enquête m’est apparu très arbitraire et m’a fait décrocher : « je vais arrêter de réfléchir comme si j’étais dans la situation de mon personnage et analyser froidement ce que le vidéogiciel semble attendre de moi ».
Outre cette résolution décevante qui casse le principe de la boucle temporelle et de sa conquête progressive, la logique même de l’histoire et de son univers m’ont fait me poser des questions. La ville souterraine est en fait dans un vaisseau spatial, sauf qu’on y arrive en mourant et en se réveillant sur le bord d’une rivière… Bien tenté le mélange entre mythologie et SF, mais il faudrait que les développeurs n’oublient pas de raccrocher tous les wagons. Comment on explique que mourir sur Terre avec un denier dans la poche nous téléporte dans un vaisseau spatial ? La structure de ce vaisseau semble assez grande pour englober la ville, mais pas les ruines au-dessus et la rivière, alors je ne comprends plus ? Est-ce que le rivage est encore sur Terre, et c’est quand ensuite on tombe dans le puits des ruines qu’on est téléporté dans l’espace ? Mais cette rivière, lieu mythologique s’il est en est, que nous fait traverser Charon, si tout s’explique par de la science, où est-elle située et comment se fait-il que l’on y soit transporté en mourant ?
Et le magistrat, il a beau se désintégrer à chaque fois qu’il accomplit le rituel quand la Règle d’or est brisée (rituel pour ouvrir un Portail temporel, celui qui nous a invoqué dans le passé au début et qui a la seconde fonction de ne nous permettre de revenir au début de la journée – là encore la logique me dépasse), le magistrat donc, on veut nous faire croire qu’il se rappelle de tout à chaque fois qu’on recommence la journée. Mais cela n’a aucun sens. Que nous on se rappelle, c’est normal, notre cerveau est transporté dans le temps. Mais lui ? Son cerveau est détruit, autant que sa peau et ses organes. Il ne reste qu’un squelette fumant quand il accomplit le rituel. Alors comment je peux croire qu’il garde ses souvenirs ?
Et puis pour lui, est-ce que c’est vraiment si intéressant que ça de revivre indéfiniment la même journée, stressante, où un enquêteur menace de découvrir le pot aux roses de ta séquestration de ta propre fille, et où tu finis inlassablement par te tuer toi-même dans d’atroces souffrances ? Et si les statues de Pluton arrivaient un jour à te tuer avant que tu puisses accomplir le rituel et permettre à la journée de recommencer ? Ta vie serait finie, et tous tes efforts auront été vains.
Le magistrat étant le méchant principal avant la rencontre finale avec Pluton, le fait que ses motivations soient aussi branlantes m’a posé un vrai souci pour adhérer au récit.
Quant aux phases d’action avec un arc… Sans les trouver nulles, je me pose la question de la vraisemblance qu’un type comme vous et moi de 2021, n’ayant probablement jamais tenu un arc, arrive à enchaîner les tirs tête sur des cibles mouvantes tout en se déplaçant. Cela me semble un peu débile, d’autant qu’à côté le perso principal est dans un type d’interaction très humaine avec son environnement : dialogues et exploration principalement. Le voir passer si facilement en mode violence, comme un banal avatar de FPS moyenâgeux, me laisse perplexe. Cela casse l’immersion : mon personnage n’est plus cet enquêteur féru d’histoire qui tente de s’en sortir avec sa jugeote et ses pouvoirs de voyageurs du temps, il devient un héros classique polyvalent, inarrêtable avec son arc et sa barre de vie. Moins réel, plus distant. Déjà qu’il n’a pas de visage, pas de voix et qu’il ne dit rien par lui-même…
Le vidéogiciel n’est pas exempt de divers bugs au niveau des choix de dialogues. Par exemple, j’ai pu demander à l’un des candidats à l’élection de magistrat de se retirer avant même d’avoir déterminé que cela m’aiderait dans ma quête. A un autre moment, alors que j’avais découvert Sentilla prisonnière, je n’avais pas le choix de dialogue avec sa propre sœur pour lui en parler.
Si j’ajoute à cela que l’interface est très directrice, avec des objectifs apparaissant à l’écran à la moindre suggestion d’action que formule un des habitants… Je me suis senti moins en situation avec mon personnage, qu’à essayer de trouver ce qu’avaient prévu pour moi les développeurs, et ce même si ce qu’ils avaient prévu n’était pas ce qui s’imposait à moi comme le plus logique ou le plus intéressant dans l’histoire.
Les suggestions de la prêtresse en blanc, celle dont Galérius est amoureux, m’ont fait longtemps chercher une issue inédite pour une fin optionnelle. Car à l’écouter il y a bien 3 ou 4 façons de s’enfuir. Alors qu’il n’y en a jamais que 2 finalement (soit tuer le magistrat directement ou indirectement, soit faire chanter Pluton). Encore une recherche déçue…
Il existe 4 fins au récit mais les trois premières sont très rapides et sont basées sur le meurtre du magistrat. Mon problème c’est que la fin 1, qui consiste à tuer nous-même le magistrat, est punitive dans le sens où l’on retourne dans le présent, mais on reste à jamais coincé dans la version présente de la cité, sans parvenir à remonter le puits. Les fins 2 et 3 nous font d’abord sauver Sentilla avant la mort du magistrat, et c’est elle qui nous révèle la sortie secrète qui, à notre retour au présent, nous permet de nous enfuir de la cité. Là où le bat blesse, c’est que la fin numéro 4, où l’on fait chanter Pluton, n’implique pas du tout Sentilla, et malgré cela, notre personnage une fois revenu au présent trouve la sortie secrète comme par magie… Plus précisément, c’est un autre homme du présent qui la trouve, mais c’était aussi ce même homme qui ne la trouvait pas dans la fin 1 et ce dans les mêmes conditions.
Il y a donc beaucoup de détails qui ne fonctionnent pas dans The Forgotten City ; une enquête qui commence passionnante mais tourne in fine au simple chantage entraînant un tabula rasa qui annihile toutes nos actions patientes et méticuleuses ; des éléments de l’univers qui ne collent pas ; une interface trop directrice dans ses objectifs qui nous rend pas acteur intellectuellement ; des choix de dialogue arbitraires qui relèvent parfois de défaut de conception et parfois du choix des développeurs de délaisser l’enjeu initial du récit de boucle temporelle.
Je salue la réalisation graphique qui m’a vraiment permis de m’imaginer dans cette cité souterraine ; la façon dont la lumière entre par un immense trou au plafond et éclaire de façon diffuse les constructions était très jolie. Les citoyens sont modélisés correctement et vaquent à leurs occupations. Et je ne nie pas mon plaisir de la découverte : c’était très entraînant de me retrouver perdu dans le passé, à vouloir défaire cette boucle, apprendre et connaître les habitants, le passé secret de la cité (les Grecs étaient là avant, mais aussi les Égyptiens et encore avant eux les Sumériens…) et évidemment le twist SF avec le dieu des enfers dans son vaisseau spatial. Même si c’est superficiel au final, j’adore ce genre d’imaginaire débridé qui va sonder les grandes interrogations métaphysiques sur les origines de l’homme, les dieux, la vie après la mort, le temps… Sans dire que les réponses ici soient pertinentes ou excitantes, ou même correctement développées, j’y trouve beaucoup d’intérêt.
De grandes promesses et beaucoup de frustrations, voilà qui résume mon temps passé sur The Forgotten City.
Verdict = ok
Note(s)
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