Rise of the Argonauts (PC)
Par Pierre Compignie le jeudi 4 août 2022, 14:00 - Critiques toute neuves
Développé par : LIQUID ENTERTAINMENT (Californie)
Sorti à l'origine en : décembre 2008 (Europe, version PC)
L'homme décide de son avenir mais seul le destin peut en faire un héros.
Se déroulant dans une Grèce Antique plus vivante que jamais, Rise of the Argonauts renouvelle avec brio le jeu de rôle et d'action.
Incarnez Jason et menez les plus grands guerriers légendaires dans une aventure qui vous emmènera sur des îles lointaines où vous affronterez les créatures les plus puissantes et les plus redoutées de la mythologie.
- Explorez un monde vaste et dynamique rempli de villes somptueuses, de jungles luxuriantes et de terres oubliées.
- Une nouvelle génération de jeu de rôle avec des changements d'armes instantanés, des gains d'expérience repensés et des dialogues immersifs.
- Dédiez vos grâces aux Dieux pour acquérir des attaques surnaturelles aux pouvoirs dévastateurs.
- Ressentez toute l'intensité du combat grâce à une bande son épique signée Tyler Bates (300).[1]
J'ai passé un bon moment avec Rise of the Argonauts (appelons-le ROTA). J'ai lu certains critiques se moquer de ses graphismes en les comparant à ceux des vidéogiciels PS2. Ils m'ont moi aussi évoqué la PS2 du fait que les décors sont plutôt restreints en terme de surface ; on retrouve ces décors en « couloirs » que l'on avait beaucoup à cette époque, du fait je crois de la mémoire vive limitée de la console. On reconnaît aussi les séparations de zones par une porte qui s'ouvre lentement, de manière à masquer les temps de chargement... Comme dans Tomb Raider Anniversary, qui lui rajoutait des espèces de sas entre deux portes. Reste que malgré ces caractéristiques évocatrices d'un autre âge technologique, j'ai trouvé les décors fort jolis et ceux-ci m'ont plongé sans mal dans le monde dépeint par ROTA.
ROTA m'évoque les vidéogiciels PS2 surtout par son inventivité, le fait qu'il ne se contente pas de recopier un modèle existant mais amène ses propres idées originales – et oui c'est une démarche qui fleure bon la PS2, cette époque des VG où tout était encore à inventer, avant que l'on subisse cette horrible vague d'uniformisation sur la génération PS360.
Par exemple, ROTA bazarde complètement le système de points d'expérience (que l'on voit plus ou moins tout le temps dans les Action-RPG). Il ne s'agit plus d'accomplir des actions répétitives ou d'enchaîner les combats pour engranger des points, mais eu lieu de ça, simplement se prendre au jeu du scénario et mener le plus d'action ayant du sens pour Jason. Si un personnage secondaire blessé pendant une bataille demande au Roi Jason de prévenir ses parents qu'il va bien, et qu'on le fait, le système de ROTA nous attribue une « grâce » nommée par rapport à l'action réalisée, et on a ensuite la possibilité de dédier cette grâce à l'un des quatre dieux qui nous soutiennent dans notre quête pour acquérir un des pouvoirs qu'ils mettent à notre disposition.
Cet acte de dédier une grâce à un dieu peut être faite via le menu Pause, ou bien en interagissant avec un autel consacré à Arès, Apollon, Hermès ou Athéna que l'on trouve dans l'univers de Jason. J'aime l'idée qu'il faille obligatoirement trouver un autel du dieu qui nous intéresse pour lui dédier des grâces et débloquer ses pouvoirs, mais les développeurs ont visiblement préféré nous permettre de le faire à tout moment de façon extra-diégétique via le menu Pause – ce qui rend totalement inutiles les autels que l'on découvre dans les différents endroits traversés. M'est avis qu'au départ, les développeurs voulaient absolument que l'on se serve des autels, mais qu'ils ont renoncé dans une démarche d'apporter du confort au public ; et sans doute qu'il aurait fallu disséminer de nombreux autels de partout qui auraient surchargé les décors, s'ils voulaient que l'on puisse fréquemment déverrouiller de nouveaux pouvoirs.
Mais je digresse. J'apprécie vraiment que les points d'expérience pour faire évoluer son personnage aient été substitués par la valorisation d'actions ayant un sens fort dans l'histoire de Jason. Les actions valorisées sont bien sûr toutes des actions appréciées des dieux qui nous soutiennent, donc des actions honorables, courageuses, intelligentes, etc. C'est très immersif. Et cela contribue à donner une âme à l'aventure de Jason, qui dépasse l'enchaînement sans fin de combats à la God of War.
De la même façon, quand ROTA nous propose de choisir pour Jason ce qu'il doit dire au cours d'un dialogue avec un personnage secondaire, chacune des quatre phrases proposées s'aligne avec un des quatre dieux. Une réponse agressive et peu diplomate plaira à Arès, tandis que faire montre de manipulation satisfera Hermès le malicieux. Les choix de dialogues, même s'ils n'ont pas d'importance pour l'histoire, ont une dimension tactique selon les pouvoirs que l'on cherche à acquérir... Et j'avoue que j'ai aussi succombé à une dimension « jeu de rôle » lors de ces choix : chacun des lieux visités appartient à un des quatre dieux, et j'aimais quand je visitais un lieu chercher à plaire au dieu de ce lieu, je me disais que c'était l'occasion de faire bien évoluer la branche correspondante des pouvoirs de mon Jason.
Autre belle idée de ROTA, cette fois pendant les combats : le bouclier de Jason pare les attaques ennemies même sans qu'on le brandisse, que Jason le porte dans sa main gauche ou sur son dos, selon bien sûr l'angle de l'attaque ennemie. Visuellement c'est d'un bon sens infini : si on porte un bouclier dans notre dos et qu'on nous attaque par derrière, l'attaque devrait être reçue par le bouclier. Oui mais quel autre VG a implémenté cela dans son système de combat ? Je n'en connais pas un seul. Et même principe avec les ennemis : même sans qu'ils parent, si on tape sur leur bouclier notre attaque est diminuée. Bravo LIQUID ENTERTAINMENT ! Sans que ce soit une idée qui bouleverse la façon dont le public aborde les combats, c'est un détail qui montre que les développeurs ont investi intellectuellement leur projet et ne se sont pas contentés de refaire ce qui a été pensé avant eux.
Je me rappelle aussi des portes du palais de Jason : ce sont des gardes qui les ouvrent quand on s'en approche, et qui les referment quand on s'éloigne. Une chouette idée à la fois confortable, crédible dans l'univers et qui assoit la sensation d'être dans la peau d'un roi.
Mais ce que j'ai vraiment aimé avec ROTA, c'est cette immersion totale dans le monde de la Grèce Antique. Le design des personnages a beau exagérer totalement la musculature des hommes, la façon dont les personnages parlent, leur ton, leurs tournures de phrase, fleurent bon l'Antiquité. Et j'ai été beaucoup touché par le rapport à la mort présenté ici. ROTA est une aventure sombre. La mort est très présente, de nombreux personnages meurent et le groupe secret que l'on traque (les Languenoires) ramène des morts à la vie pour gonfler les rangs de leur armée. Jason et ses alliés civilisés ont un rapport à la mort qui m'a semblé très sain ; quand quelqu'un meurt, Jason effectue les « rites funèbres » pour que l'âme du défunt soit libérée de notre monde et passe dans l'au-delà pour découvrir le destin qui l'attend... Ces rites sont simples, ils consistent à prendre quelques minutes pour nommer le défunt, évoquer son métier, ses origines, ce qu'il a accompli au cours de son existence, ses qualités. Une façon de leur permettre de publiquement exister une dernière fois avant que leur mémoire incombe à leurs proches... C'est très beau je trouve. Pour le Roi Jason, c'est un devoir que d'effectuer ses rites.
Et l'histoire, paradoxalement, c'est justement Jason qui n'accepte pas la mort de sa fiancée Alcème et refuse de lui donner les rites funèbres ; il refuse que l'âme de sa compagne quitte notre monde et veut à tout prix trouver un moyen de ramener son corps à la vie. On dirait presque que dans cette réaction, Jason est un homme de 2022.
L'histoire est très noire parce que l'espoir est mince tout au long de l'aventure. Déjà les dieux préviennent Jason qu'au plus le temps passe, au plus l'âme d'Alcème se détériore, tant et si bien que s'il parvient à ressusciter son corps il se pourrait qu'Alcème ne soit plus du tout la femme qu'il a connue (comme un zombie ?). Ensuite il y a les Languenoires, qui semblent être partout, omniscients, et dont les rangs ne semblent jamais tarir. Il y a l'oncle Pélias, dont la narration, habile, nous révèle très tôt qu'il est un traître qui a vendu son âme aux Languenoires. Sa prise de pouvoir à Iolcos après le départ de Jason génère un suspens, une tension durant toute l'aventure : on sait qu'il y aura un drame et une confrontation. La quête de Jason pour trouver la Toison d'Or ne cesse d'être jugé désespérée, folle, par ses interlocuteurs.
Donc j'ai trouvé une vraie épaisseur à cette histoire. J'ai été pris dans ce monde, captivé par ces us et coutumes très différentes, j'ai admiré ces décors exotiques et me suis passionné pour la quête de Jason. Je me suis investi dans chacun des lieux visités (l'île des centaures, la cité maudite avec les gens changés en pierre, la ville de Mycène pleine de vie avec son port, son marché et son palais) pour en percer les mystères et résoudre les intrigues.
Les combats quant à eux m'ont plus ou moins laissé de marbre. Si j'ai apprécié les ralentis mettant en exergue les dégâts physiques spectaculaires d'une attaque puissante donnant le coup de grâce (corps coupé en deux par exemple), j'ai moins aimé le fait de taper le plus souvent sur des boucliers brandis qui encaissaient mes coups sans broncher, et devoir taper comme un sourd dessus jusqu'à ce qu'ils daignent se briser. Il en résulte des combats pénibles où l'on fait face à des ennemis qui parent sans avoir de solution plus maligne que taper, taper, taper. C'est plus ennuyeux qu'autre chose, ce n'est pas excitant du tout. Quand l'ennemi n'a plus de bouclier, c'est plus rigolo puisqu'on peut en terminer assez vite avec un enchaînement se terminant sur une attaque puissante (une ou deux attaques simples suivies d'une pression sur une des touches de changement d'arme résulte en une attaque supplémentaire et très puissante avec la nouvelle arme). De façon générale les combats sont des formalités, ils sont rarement difficiles (même en ayant choisi comme moi le mode de difficulté maximum) et alternent le rébarbatif et l'amusant. Mais ils sont peu intenses et peu intéressants. Je n'ai jamais vraiment compris comment exécuter des « parades puissantes », l'effet positif qu'elles sont censées avoir par rapport à un simple coup de bouclier, et le plus triste c'est que malgré cela j'ai terminé l'aventure sans problème... Pourtant, là encore les développeurs ont fait montre d'un choix fort puisqu'ils ont axé la baston sur trois uniques types d'arme : l'épée, la lance et la masse. Mais à mon sens, dans ce domaine, ils n'ont abouti à rien de vraiment pertinent.
Mon dernier regret vis-à-vis de ROTA, c'est sa fin. Comme malheureusement souvent dans les VG, la fin est expédiée, comme s'il n'y avait plus d'argent dans les caisses et qu'il fallait vite boucler le projet. Mais ici en plus, on écope d'un gros happy end qui m'a laissé dans une forme d'incompréhension par rapport à ce que à quoi j'assistais. Toute cette noirceur, toute cette inquiétude savamment distillée au fil du voyage... Pour aboutir à ce que tout finisse bien ? Il me semblait pourtant que l'intrigue amenait lentement mais sûrement l'idée que Jason ne pourrait jamais ramener Alcème telle qu'elle était avant sa mort, et aussi que les Languenoires étaient partout et finiraient par engloutir toute la Grèce. Le fait que sans transition, tous ces sujets de tension soient évacués par quelques secondes de liesse sans ambiguité, m'a laissé dubitatif, perplexe.
Bon. Je n'aurai pas mon chef d'œuvre aujourd'hui. Reste que Rise of the Argonauts, avec sa quête pleine d'âme et d'idées, en plein cœur d'une Grèce Antique au rapport à la mort passionnant, avec son choix de se concentrer sur l'exploration, les dialogues et l'enquête plutôt que sur les combats, m'a fait passer un très bon moment que je n'oublierai pas de sitôt.
Verdict = vaut le coup !
Note(s)
- ^ Présentation officielle recopiée de la quatrième de couverture.
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