Last Day of June (PS4)
Par Pierre Compignie le mardi 24 janvier 2023, 21:00 - Critiques toute neuves
Développé par : OVOSONICO (Italie)
Sorti à l'origine en : août 2017 (Europe, version PS4)
Comment j'ai pratiqué : Terminé en 3h33 en mode normal (un seul mode dispo), sur PS5 avec la manette Dual Shock 4. 30 images par secondes.
Rejoignez Carl et June au cours d'une promenade de rêve sur le point de virer au cauchemar, et essayez de débloquer la séquence d'événements capable de sauver la vie de June dans cette expérience cinématographique posant la question : « Que feriez-vous pour sauver la personne que vous aimez ? »
Last Day of June est une fable interactive sur l'amour et l'absence signée du réalisateur Massimo Guarini (Murasaki Baby, Shadows of the Damned), du musicien et producteur Steven Wilson ainsi que du scénariste et animateur Jess Cope (Frankenweenie, le clip Here Comes Revenge de Metallica).[1]
Très intéressant ce vidéogiciel, et original à bien des niveaux ! Déjà visuellement, j'ai trouvé ça stupéfiant de beauté. Pas tant les personnages que l'image et les effets de lumière, j'en reparle dans la galerie. Ça tourne à 30 images par seconde sur PS5 mais ça ne m'a pas dérangé ; c'était suffisamment fluide et régulier comme animation. Bon les personnages peuvent tourner sur eux-mêmes comme des toupies, trop facilement, c'est un peu dommage, ça les fait ressembler à des robots quand on tourne le stick et qu'eux tournent instantanément à l'écran, sans inertie, sans limite. Bon ce n'est pas vrai ceci dit quand on incarne le héros dans un fauteuil roulant : si on tourne trop vite, Carl – j'apprends son nom à l'instant car jamais évoqué dans le VG – perd l'équilibre et s'arrête un instant, j'ai beaucoup apprécié.
Les personnages s'expriment dans un langage inconnu non sous-titré, mais on les comprend parfaitement grâce à leur gestuelle et à leurs mimiques, et aussi à leurs intonations. Cela m'a fait penser que les mots sont bien peu de choses et aussi que l'expression humaine a beaucoup en commun par-delà les différentes langues parlées. Ceci étant, on arrive à les comprendre car ce ne sont que des personnages très extravertis, et la représentation de style cartoon exagère justement l'expression des émotions (les visages sont énormes, les mouvements sont amplifiées, les intonations très marquées)... Mais quand même ! C'est une expérience enrichissante de réaliser que l'on est capable d'aussi bien comprendre ce que ressentent des personnages qui parlent une langue inconnue. Dans la vraie vie j'ai absolument besoin des mots pour me faire comprendre et aussi pour comprendre les autres – j'ai pu expérimenter un tout autre mode de « réception » avec LDOJ.
Il n'y a donc aucun dialogue sous-titré et aucun tutoriel d'aucune sorte. On est censé comprendre ce que le VG attend de nous, ce qu'il veut nous faire faire exactement. Cela n'a rien d'évident – et j'adore ça, ce frisson des débuts d'un VG « non balisé » où tout est possible. Au départ on se trouve dans la peau de Carl qui passe un chouette aprèm avec sa compagne au bord d'un lac. Mais il commence à pleuvoir alors on retourne à la voiture et on rentre. Accident. On se réveille à la maison en pleine nuit : June n'est pas avec nous, et pire, on a besoin d'un fauteuil roulant pour se déplacer ! On comprend alors qu'un certain temps s'est écoulé depuis l'accident et que Carl vit maintenant tout seul chez lui, handicapé et toujours en plein deuil... de la mort de sa compagne.
Un événement étrange survient. Un tableau se met à briller dans la maison de Carl. En s'en approchant et en appuyant sur carré (« la sauver » nous indique l'interface, quoi que cela signifie), on se retrouve dans la peau d'un des quatre habitants du lotissement, avant l'accident de voiture. D'abord l'enfant. On comprend son enjeu : il est seul dans sa cabane et veut jouer, et son ballon et son cerf-volant se sont envolés. On retrouve le ballon et on joue avec le chien. Mais le chien envoie le ballon sur la route... On va chercher le ballon, et à ce moment la voiture de Carl et June déboule, freine en catastrophe pour éviter l'enfant... et termine dans le décor, dans un fracas terrible que l'on ressent avec une vibration puissante de la manette (rien à dire, les développeurs n'ont pas loupé l'occasion d'un bel effet).
On se retrouve dans le futur dans la peau du Carl endeuillé tout seul dans sa maison la nuit. On retourne sur le tableau, on retourne dans la peau de l'enfant avant l'accident. Et là on cherche les interactions possibles et on découvre que l'on peut retrouver le cerf-volant de l'enfant ! Ce faisant, il laisse le chien tranquille, qui n'envoie donc pas le ballon sur la route... La voiture arrive alors, et en effet, l'enfant n'est pas là et la voiture continue son bonhomme de chemin. Sauf que... sauf qu'une autre voiture planté au milieu de la voie avec des cartons de déménagement éparpillés par terre provoque un nouvel accident mortel ! On retourne dans le futur, et voilà que l'on peut accéder à un autre tableau, permettant de revenir dans le passé dans la peau de la conductrice de l'autre voiture...
Vous avez compris le principe : il va s'agir de tenter de modifier le comportement des gens du lotissement pour qu'ils ne provoquent pas l'accident mortel du héros et de sa compagne. C'est tout le challenge interactif de LDOJ. Évidemment il y a des embrouilles du style : pour que le gamin ne joue pas avec le chien, il a besoin d'une corde pour jouer avec le cerf-volant, mais sans la corde la femme qui déménage ne peut pas attacher ses cartons de déménagement et provoque donc elle-même un accident... Il faut donc trouver des solutions, et malheureusement j'ai été un peu déçu par les solutions prévues par le vidéogiciel, car elles font peu appel à l'intelligence, à l'ingéniosité, à la créativité (essayer de trouver l'enchaînement d'événements parfait). En fait il s'agit souvent d'ouvrir des portes avec un personnage (qui commence dans sa maison et peut donc en ouvrir les accès) pour recommencer ensuite avec un autre qui les trouvera ouvertes lui aussi (pas sûr que ça colle toujours en terme de timing d'ailleurs) et pourra ramasser un objet permettant une autre issue à la journée. Par exemple, je vous ai parlé de la corde requise pour le cerf-volant, et bien avec un passage ouvert par le chasseur, la déménageuse peut... ramasser une seconde corde ; et donc attacher ses cartons sans prendre celle du gamin qui alors jouerait avec son ballon et provoquerait l'accident. Donc rien de très intellectuel, juste une seconde corde sortie de nulle part qu'on débloque « juste » en ouvrant le chemin du chasseur.
Ce n'est pas hyper intéressant pour nous public ; ça me rappelle fort l'inélégance de Forgotten City qui mettait en place une boucle temporelle assez complexe, et gâchait tout en conditionnant la réussite à une simple collecte d'objets, alors que le principe appelle de lui-même la quête d'une harmonie profonde et la prévention ultime de tous les conflits.
LDOJ pêche sur d'autres points. D'abord je n'ai pas vraiment compris où le VG voulait en venir. D'un côté, il y a cette idée que quoi que l'on fasse, il y a toujours un nouvel élément qui provoque l'accident. Si on empêche que le garçon aille sur la route, c'est la déménageuse avec sa voiture et ses cartons ; si ce n'est pas elle, c'est un rocher ; si ce n'est pas le rocher, ce sont des feuilles qui s'accumulent sur le pare-brise... On dirait que l'on veut nous dire qu'on ne peut pas changer le passé ; c'est certes vrai, mais pas pour les raisons que le VG nous expose... Je veux dire, dans la vraie vie, en effet, on ne peut pas changer le passé, on ne peut pas refaire l'histoire. Mais ce n'est pas ça ce que LDOJ nous raconte ; LDOJ nous raconte que l'on peut changer le passé, mais qu'une force mystérieuse est déterminée à faire tout en son pouvoir pour que l'issue tragique ne soit pas altérée.
Et à côté de ça, à la fin le héros parvient à altérer de façon significative le passé, en revenant au moment où ils prennent la voiture pour rentrer à la maison. Carl échange sa place avec June. Ils ont l'accident, mais c'est Carl qui meurt et June survit... Et là je ne comprends plus rien, car tant qu'à pouvoir faire ce qu'on veut comme modification, pourquoi Carl n'a-t-il pas simplement attendu dans la voiture la fin de l'orage pour démarrer ? Et le problème est résolu, tout le monde reste en vie ! Vraiment je ne comprends pas la logique de cette histoire. Ça ne fonctionne ni comme une métaphore du deuil, ni comme un récit fantastique. N'importe qui avec les pouvoirs de Carl parviendrait à modifier le passé. Le pourquoi il n'y arrive pas m'échappe, c'est l'arbitraire des développeurs qui ne nous permet que des actions timides ou vouées à un demi-échec, ou fait du temps une entité vivante mesquine bien décidée à nous enquiquiner aussi fort que possible.
Rien de tout cela n'est très évocateur de l'expérience humaine du deuil, à mon sens... Par contre, découvrir les souvenirs du grand-père via cinq photos, qui montrent son épouse s'occuper des plantes, puis son absence et lui qui continue de s'occuper des plantes à sa place, ça oui ça m'a touché. La musique est souvent très belle, le visuel et les lumières dégagent une grande nostalgie.
LDOJ a beaucoup à proposer durant sa courte durée. C'est une expérience audiovisuelle très belle et très triste. Le challenge interactif est quant à lui sympathique à découvrir, mais manque de sens profond et n'est pas passionnant à résoudre. Le deuil est plus puissamment évoqué par des détails que par l'histoire au premier plan, qui échoue pour moi à la fois sur le plan du fantastique et de la parabole. Une production que je recommande de découvrir néanmoins, aux personnages « cartoon » particulièrement expressifs et animés de façon très détaillée.
Verdict = vaut le coup !
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store.
Galerie d'images
Commentaires
Chouette critique et description très détaillée de ce vidéogiciel que j ai eu plaisir à lire et qui donne très envie de pratiquer !