Disaster Report 4 : Summer Memories (PS4)
Par Pierre Compignie le jeudi 18 mai 2023, 14:30 - Critiques toute neuves
Développé par : GRANZELLA (Japon)
Sorti à l'origine en : novembre 2018 (Japon, version PS4)
Comment j'ai pratiqué : Terminé en 14h03 en mode normal (1 sur 1), sur PS5 avec la manette Dual Shock 4 et la fixation dorsale de commandes. 60 images par secondes. Version 1.01. J'ai paramétré la fixation dorsale de commandes pour pouvoir courir avec la palette droite (au lieu de la gâchette R1, plus cool pour la main).
Une calme journée d'été tourne à la catastrophe lorsqu'un violent séisme secoue la ville, semant le chaos parmi les gratte-ciel et la population. Afin de survivre, vous devez traversez des lieux familiers dans des circonstances hors de l'ordinaire. Rencontrez d'autres survivants et prenez des décisions cruciales qui affecteront le cours de votre expérience et détermineront la fin de votre périple.[1]
Comme mon précédent texte, je me focalise ici sur les points qui m'intéressent plutôt que d'essayer d'aborder l'intégralité du vidéogiciel. J'utilise l'acronyme DR4SM pour Disaster Report 4 : Summer Memories. Je vais parler de la technique à la ramasse, de la seconde partie de l'histoire qui part en cacahouète et de l'approche bancale du héros – pas forcément dans cet ordre !
DR4SM traite son héros d'une façon pour le moins originale. Ce n'est pas tout à fait un jeu de rôle façon Fallout 3, à mon sens, parce qu'il y a une trame qui reste très définie et on ne peut pas faire ce que l'on veut. Il en possède cependant de nombreuses caractéristiques : on choisit le visage de son avatar, sa coupe de cheveux, son sexe et la moindre de ses paroles, toujours parmi un ensemble de choix proposés. Si je schématise en prenant un exemple, on choisit pourquoi notre héros va voyager avec une jeune femme nommée Kanaé, mais on ne choisit pas de voyager ou non avec elle. On choisit ce qui se passe dans sa tête : je l'accompagne par devoir, parce que je suis amoureux d'elle, pour avoir une récompense pécunière, parce que je m'ennuie... Mais on ne peut pas choisir de l'abandonner et de voyager seul[2]... Ce qui a échoué à me donner le sentiment d'être mon avatar.
Autant dans Fallout 3 je me suis senti vraiment être moi-même, jouer mon propre rôle, autant dans DR4SM ça n'a jamais été le cas. En fait je me demandais même ce que cela pouvait bien changer à quoi que ce soit, que j'aide une femme de manière « désintéressée »[3] ou bien que je l'aide dans l'espoir de la séduire. Je me suis souvent senti perplexe face à ce que me demandait le VG ; choisir l'état d'esprit de mon perso, à quelle fin ? Et après avoir complété l'aventure, je me pose toujours la question... L'interface ne nous explique pas la finalité de ces choix, et comme je ne me sentais pas être le héros, du fait du scénario pré-écrit et de son corollaire, l'ensemble limité des choix à dispo, et bien je me demandais quoi sélectionner. Je ne ressentais ni l'enjeu en terme de challenge (pour les choix d'état d'esprit qui ne changent rien à l'action), ni l'enjeu en terme de roleplay[4] auquel je ne croyais pas. Pire, il y a des séquences où la situation présentée appelle d'elle-même certaines actions, et le VG ne m'a permis de les entreprendre. Je pense par exemple au chapitre avec la secte des White Coats, à laquelle j'ai été obligé d'adhérer et pour qui j'ai été contraint de faire du recrutement, parce que c'était la seule façon pour ensuite déclencher une scène où un Docteur rebelle déplace des caisses et ouvre le passage vers la zone suivante... Dans un vrai jeu de rôle, j'aurais pu me débrouiller pour déplacer les caisses sans adhérer à la secte, si tant est que mon but avait été d'ouvrir le passage avec les caisses, but que je n'avais même pas en tête au moment d'adhérer à la secte – je l'ai vraiment fait car je ne voyais rien d'autre à faire pour progresser dans le scénario, quand bien même cela allait totalement contre ma volonté... Le concept m'apparaît vraiment mal fichu.
Mais bon ça c'est la seconde partie de DR4SM. La première partie m'a bien plus convaincu. On a un enjeu clair, net et précis : voyager avec Kanaé jusqu'au quartier où elle est censée retrouver son petit ami. Il y a de l'action, des tremblements de terre, des énigmes de progression ; et puis il y a cette ambiguïté avec Kanaé, avec qui on vit une expérience intense, intime, alors qu'elle attend de retrouver son fiancé. Il y a du danger à chaque coin de rue, des bâtiments qui s'effondrent, plein de personnages à rencontrer et à aider d'une façon ou d'une autre.
Et puis, on finit par atteindre notre objectif : Kanaé retrouve son chéri et reste avec lui. On est alors seul et... on fait des trucs... dans l'espoir d'un jour voir le générique de fin. En clair, il n'y a plus d'enjeu. On se balade d'une zone à l'autre, sans trop savoir pourquoi, avec un avatar sans volonté, pas vraiment nous, pas vraiment lui non plus. On vit des séquences étranges comme celle de l'école transformée en refuge, où sans qu'on ait beaucoup de choix, on donne de l'eau miraculeuse à des gens, et ces derniers finissent par vouloir nous tuer quand ils réalisent que c'est de l'eau qui gouttait du toit de l'école... Mais à aucun moment on a la possibilité de dire « attendez les mecs, c'est juste de l'eau que j'ai récupéré là-bas au coin du bâtiment ». Encore une fois, le VG échoue dans sa visée roleplay et nous force à un comportement passif qui nous amène à être chassé du refuge par la populace haineuse[5]. Je pense aussi, pas beaucoup plus loin, aux retrouvailles avec l'étudiant étranger Danny (un personnage d'une niaiserie atroce), blessé à mort, à qui j'ai promis de trouver un docteur, tout ça pour constater dépité que le VG ne me laisse pas parler de Danny à l'infirmier qui se trouve dans la zone juste à côté d'une ambulance... J'ai donc dû laisser Danny tout seul en train de crever, alors même qu'une ambulance était postée à quelques mètres. Incompréhensible.
Pour autant, j'ai eu quelques gros rires dans cette seconde partie. Comme je n'étais plus impliqué et que j'en avais marre, je me suis permis de faire des choix « incorrects » qui m'ont fait beaucoup rire, qui ont fait de mon personnage un gros cynique sans cœur ! C'était très drôle.
Je ne sais pas trop ce qu'ils ont cherché à faire avec cette seconde partie. Il n'y a plus de tremblements de terre, donc plus d'action. C'est juste un enchaînement étrange de péripéties déconnectées. On peut faire dire à son personnage des énormités et faire preuve du pire manque d'empathie envers une famille qui a perdu sa maison, pour quelques temps plus tard se retrouver à tenter de consoler au mieux une femme qui vient de subir un viol (et dans ce cas l'ensemble des choix proposés reste dans un spectre relativement bienveillant). C'est difficile de trouver dans cette seconde partie une cohérence, une ligne directrice ou juste un sens. Les développeurs m'ont donné le sentiment de ne plus vraiment y croire ; le très sombre cotoie la niaiserie, le burlesque succède au nihilisme. Une institutrice meurt accidentellement en sauvant une fille qui tentait de se suicider excédée par son harcèlement scolaire ; dans une autre scène on peut réclamer au maire de la ville de « changer le titre du jeu » (ou même nous emmener directement au générique !) en échange d'eau miraculeuse. Tout et n'importe quoi.
C'est dommage car en sortant de Deliver Us The Moon et en commençant DR4SM, j'adorais l'approche japonaise du design de la progression ; on n'est pas pris par la main, c'est à nous d'explorer, de comprendre quoi et comment faire pour atteindre notre objectif. Les environnements apparaissent vastes, avec plein de personnages et de possibilités apparentes. C'est beaucoup plus intéressant à pratiquer comme aventure. Mais la seconde partie m'a beaucoup déçu, tout en m'autorisant quelques gros rires au prix de mon désinvestissement. Le manque d'enjeux m'a démotivé. Au tout, tout début, il n'y en a pas non plus, mais on découvre, on se dit, tiens, le but est peut-être simplement de survivre et de venir en aide aux gens qu'on rencontre. Il y a peut-être une histoire qui va se tisser en parlant aux gens. Et c'est le cas d'ailleurs avec Kanaé ! Mais une fois qu'on la laisse, c'est la désillusion. Ça devient vide et ça devient une accumulation aléatoire d'incidents de fiction post-apocalyptique (pour terminer en « apothéose » avec des trafiquants d'êtres humains, un conflit réglé sans notre intervention par un deus ex machina).
Techniquement le VG m'a à la fois enthousiasmé ET posé problème. J'ai apprécié la stabilité des 60 images par seconde sur PS5. Mais j'ai été gêné par le mix sonore : les bruits de pas en intérieur font un bruit épouvantable tandis que l'hélicoptère de la fin n'en fait aucun. À chaque montée d'escalier, la caméra tressaute à chaque marche, de manière vraiment saccadée. Et mon perso, que je fais avancer en incliant le stick gauche dans la direction voulue, est trop sensible à la moindre variation d'inclinaison ; c'est-à-dire qu'en inclinant le stick à 1h (imaginez le cadran d'une horloge), si je ne reste pas précisément sur 1h00 mais que je tremble de façon infime entre 1h et 2h, mon perso va aussi trembler de façon frénétique, comme une mouche nerveuse qui ne saurait pas où donner de la tête. J'ai trouvé ça moche. Le dernier environnement par ailleurs, d'où on décolle en hélicoptère, m'est apparu à peine terminé par les graphistes, extrêmement vide, terne et simpliste. Comme s'ils n'avaient pas eu le temps de terminer. Ça manque donc pas mal de finition pour que j'y croie 100% du temps.
DR4SM est une expérience bizarre qui semble se chercher elle-même, quelque part entre l'histoire d'action-survie efficace du premier épisode SOS The Final Escape et l'ambition non aboutie de proposer une aventure entre le jeu de rôle (Fallout 3) et la fiction à embranchements (Beyond : Two Souls, Telltale's The Walking Dead). La première partie fonctionne plutôt bien avec beaucoup d'action sismique et l'enjeu clair d'escorter une femme jusqu'à son fiancé à l'autre bout de la ville, la seconde beaucoup moins puisque le héros, livré à lui-même, manque d'une personnalité forte pour propulser le récit – que ce soit la sienne comme dans un récit classique ou la nôtre si le VG nous laissait vraiment les rênes comme dans un vrai jeu de rôle. Le développement chaotique du projet, débuté sur PS3 puis annulé dans le contexte Fukushima, et finalement repris des années plus tard sur PS4, n'a pas dû aider.
Verdict = ok
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store.
- ^ Je peux me tromper sur ce dernier point car je n'ai pas tout essayé pour y arriver, mais même si c'était le cas, il y a plein d'autres exemples dans le VG pour lesquels ce principe que j'énonce se vérifie.
- ^ Ce que psychologiquement je trouve erroné. Seuls les robots font les choses de manière 100% désintéressée. Si on aide quelqu'un car on ne supporterait pas de ne pas le faire, par rapport à nos propres émotions ou notre propre image de soi, peut-on réellement dire que c'est « désintéressé » ? Le VG manque à mon sens de subtilité à ce niveau, car il ne creuse pas ce qui se passe dans la tête de quelqu'un qui, vu de l'extérieur, « aide les gens de façon désintéressée », et préfère présenter cela comme le normal, le bien, le standard, le non questionnable. Entendons-nous bien, les personnes qui aident les gens de façon désintéressée sont très bonnes pour la société, je ne remets pas cela en question ; je trouve juste que la description psychologique de ce mécanisme dans DR4SM est simpliste et moralisatrice.
- ^ Jeu de rôle.
- ^ Au passage, c'est un détail qui ne parlera pas à ceux qui n'ont pas expérimenté DR4SM, mais je n'ai pas du tout compris comment/pourquoi le héros réalise à un moment que ce n'est plus de l'eau miraculeuse qui goutte du toit du bâtiment mais de l'eau normale. Il a des yeux à rayons X qui font la différence entre une eau normale et une eau miraculeuse visiblement...
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