Life is Strange (PS4)
Par Pierre Compignie le mardi 4 juillet 2023, 22:00 - Critiques toute neuves
Développé par : DONTNOD (France)
Sorti à l'origine en : octobre 2015 (Europe, version PS4)
Comment j'ai pratiqué : Terminé en 15h15 sur PS4 Pro avec la manette Dual Shock 4 et la fixation dorsale de commandes (palettes gauche et droite affectées aux gâchettes L2 et R2 pour une meilleure ergonomie). 30 images par secondes. Version 1.00.
Life is Strange est un jeu d'aventure récompensé et encensé par la critique permettant au joueur de remonter dans le temps et modifier le passé, le présent et l'avenir.
Retracez l’histoire de Max Caulfield, une étudiante en photographie, qui découvre, en sauvant la vie de sa meilleure amie, Chloe Price, qu’elle peut remonter dans le temps. Les deux jeunes filles se retrouvent très vite à enquêter sur la mystérieuse disparition d’une autre étudiante, Rachel Amber, révélant le côté sordide d’Arcadia Bay. Pendant ce temps, Max va devoir apprendre que modifier le passé peut avoir des conséquences désastreuses sur l’avenir.
Caractéristiques
- Un jeu d’aventure au superbe scénario
- Remontez dans le temps pour changer le cours des événements
- Plusieurs fins selon les décisions prises au cours du jeu
- Des visuels époustouflants, peints à la main
- Une bande originale de musique indie licenciée[1]
J'ai beaucoup aimé. Pour une fois, dans un vidéogiciel dans lequel on fait des choix à la place du protagoniste, j'ai trouvé que l'héroïne avait beaucoup de personnalité et les choix que le VG m'a demandé de faire n'ont pas brisé l'identification que je ressentais mais au contraire s'inscrivaient bien au sein de cette identification. Contrairement à des VG comme Heavy Rain ou Telltale's The Walking Dead, la protagoniste m'a semblé exister bien plus par elle-même (la personnalité de Maxine est éclatante dans Life is Strange et je me suis incroyablement attaché à elle) et en plus de ça les différentes options entre lesquelles choisir quand j'avais le contrôle m'ont semblé vraiment envisageables pour son personnage (ils ne représentaient pas des grands écarts de personnalité).
Par exemple le choix final, terrible : sacrifier Chloe ou sacrifier la ville d'Arcadia Bay. Sacrifier Chloe a du sens car Max a le souci du bien commun et le sacrifice de sa meilleure amie permettrait d'empêcher le cataclysme météorologique sur le point de détruire la ville et de nombreuses vies humaines, dont certaines comptent particulièrement pour Max. Mais laisser Chloe vivre a aussi beaucoup de sens car Max ressent une amitié infiniment forte pour Chloe, et on a vu Max accomplir des actions presque « stupides » sur le coup de l'émotion et sous l'influence de Chloe (je pense à quand elle suit Chloe pour arrêter elles-mêmes Nathan Prescott alors même qu'il est armé, dangereux et qu'elles ont toutes les preuves à dispo pour prévenir David ou même la police directement)... Donc je pense en effet que chacune de ces deux options collerait à ce que je sais et que j'ai vu de Max jusqu'à ce moment.
Et oui Maxine existe beaucoup par elle-même ; nous sommes très loin de décider de la moindre de ses actions ou répliques. Elle agit et parle à sa façon, sans notre aval, dans de nombreuses scènes. Le studio DONTNOD a pour moi trouvé un équilibre remarquable que n'avaient pas atteint auparavant TELLTALE et QUANTIC DREAM, sur la caractérisation du héros très poussée et assumée (aucune vélléité de donner à incarner un perso « coquille vide » ou « feuille blanche » au public ici) et sur la nature des choix qui s'inscrivent dans cette caractérisation.
Mais j'ai beaucoup aimé aussi la vie qui se dégage de Life is Strange. C'est inouï comment les développeurs sont parvenus à faire exister une vie de jeune fille à l'université et tout son microcosme : ses parents qui lui envoient des SMS, son journal intime, ses camarades de dortoir, ses profs, son meilleur ami mec amoureux, sa meilleure amie fille, le jardinier du campus, ses parents, sa ville, son bar-restaurant tenu par la mère de sa copine... Il y a là tout un univers très riche dans lequel on suit Maxine évoluer sur quelques jours. J'ai été bluffé par la multiplicité de personnages, de détails autour de Maxine, sa chambre, ses goûts musicaux, ses références cinématographiques. En même temps je lis la saga Harry Potter (je viens de terminer La Coupe de Feu) et j'ai retrouvé dans Life is Strange ce foisonnement dans la description de la vie quotidienne du héros, la complexité et les nuances de la vie, que je trouve rarement dans les vidéogiciels. Par ailleurs, les dialogues entre les deux amies sont plein d'humour, de vannes et de jeu.
Et puis, quelle histoire touchante. Il y a certes l'enquête sur la disparition des filles et l'enjeu d'empêcher une catastrophe surnaturelle. Mais dans le fond, pour moi, LiS raconte ceci : une jeune fille revient dans la ville qu'elle a laissée avec ses parents il y a cinq ans pour y faire ses éudes secondaires, et retrouve sa meilleure amie d'alors, Chloe, à qui elle ne donnait plus signe de vie. Sa meilleure amie a une personnalité borderline qui n'a fait qu'empirer avec les malheurs subis (mort du père, silence de Max, disparition mystérieuse de son amie Rachel) et ne cesse de se mettre en danger. Tôt ou tard il est fort probable que Chloe meure accidentellement. Elle prend des risques inconsidérés, agit sous le coup de l'émotion, se fiche d'énerver des gens dangereux... C'est triste à dire mais c'est quelqu'un qui ne peut pas faire de vieux os. On le voit à de multiples reprises : on ne cesse de remonter le temps pour éviter que Chloe précipite sa mort ou celle de quelqu'un d'autre. Quand on empêche la mort de son père, c'est elle qui finit dans un fauteuil roulant après un accident de voiture que son père en vie lui a offert... Elle est condamnée à causer de violents accidents ou altercations qui l'impliquent elle et les gens autour.
Et je trouve ça très fort que l'on puisse si facilement « lire » l'histoire science-fiction de LiS sous ce prisme réaliste. Si l'on prend l'histoire au pied de la lettre, Chole doit mourir car c'est « son destin » et essayer de l'enrayer amène à la chute apocalyptique de toute une ville côtière de l'Oregon. Si je me laisse aller à faire de l'histoire une lecture plus réaliste, je vois une femme dont le trouble psy la fait se mettre en danger de manière répétée et qu'on ne peut continuer à couvrir sans tôt ou tard faire payer un lourd tribut à la communauté[2]. La tragédie de LiS, c'est que Max goûte au bonheur, à l'euphorie d'une amitié retrouvée, fusionnelle avec Chloe, mais que cette félicité n'est vouée à ne durer qu'un bref moment... soit du fait des voies impénétrables du destin ou de l'espace-temps (lecture littérale), soit du fait de la santé mentale de Chloe, que la loterie génétique et les expériences de vie n'ont pas gâtée et qui l'amène à s'auto-détruire.
C'est très triste pour Max qui est une jeune fille sensible totalement éprise de sa meilleure amie. On voit bien ce que Chloe la rebelle impulsive apporte à Max la froussarde timorée : de l'amour et de l'énergie. Les deux s'aiment pour ce qu'elles sont, s'apportent de différent. C'est très beau et c'est d'autant plus un crève-cœur de voir Max jouir de cette relation, et finalement que la vie la lui reprenne après si peu de temps... Mais toute la force de LiS est que même sans ouragan surnaturel, le résultat resterait tragiquement le même. La morale terrible sous-jacente de cette histoire est qu'il est vain de chercher à sauver Chloe Price, peu importe combien elle est une présence positive pour Maxine. Le soin psychologique n'est semble-t-il pas arrivé jusqu'à Arcadia Bay. Ce qui colle assez bien avec la culture de harcèlement scolaire que l'on aperçoit tout au long de l'aventure...
LiS est divisé en cinq épisodes et je ne les ai pas tous autant appréciés. Le 1 et le 4 sont mes préférés : ils sont intenses, que ce soit en matière d'émotion ou de suspens. Les épisodes 2 et 3 m'ont semblé traîner en longeur, tandis que l'épisode 5 aussi (une trop longue séquence de cauchemar pour in fine simplement nous faire revivre en accéléré les bons moments des deux amies) mais m'a en plus un peu perdu avec tous les retours en arrière ; par exemple je n'ai pas compris pourquoi Max retombe dans les griffes de Jefferson, il y a une histoire de journal brûlé mais je ne vois pas bien comment cela peut aboutir à la capture de Max. Puis dans l'ensemble de l'aventure il y a parfois un côté un peu arbitraire dans le fait que Max soit en mesure d'utiliser ses pouvoirs à tel ou tel instant. Des drames surviennent parce que le pouvoir de Max déconne sans qu'on sache pourquoi... Ce n'est pas tout le temps mais il y a donc comme ça des événements qui n'apparaissent pas « couler de source » dans le récit.
J'ai pratiqué LiS d'abord sur PS5 (via la rétro-compatibilité) mais il y a de gros artéfacts graphiques moches comme tout dans les cinématiques de début et fin d'épisode. J'ai alors poursuivi sur PS4 Pro et plus de problème. Pas de changement notable au niveau du framerate, on reste à 30 images par seconde.
La bande-son est pleine de chansons pop-rock mélancoliques lors de séquences contemplatives qui donnent à ressentir les émotions de l'héroïne. J'ai adoré les voyages en bus notamment, où l'on épouse les rêveries de Max face au paysage qui défile... La chanson Obstacles de l'artiste SYD MATTERS retentit à la fin de l'épisode 1 et colore de façon durable l'histoire d'un sentiment d'urgence à être heureux et de mélancolie. Pour moi c'est devenu comme la chanson thème du VG.
Et une mention spéciale à la phase d'enquête dans l'épisode 4 : Max a réuni sur un tableau trois ensembles de documents, et il faut faire du tri et des déductions soi-même pour aboutir au lieu où Kate a été emmenée le soir où elle a été droguée par Nathan. Une séquence interactive vraiment sympa, bien plus riche que tout que j'ai pu voir chez TELLTALE ou dans le VG sur Hercule Poirot. On se sent comme un enquêteur, tout simplement !
Une étudiante en première année d'une école d'art américaine se découvre le pouvoir de remonter le temps et s'en sert pour sauver la vie d'une vieille amie retrouvée à la personnalité borderline. Mais un cataclysme couve... En plus de proposer des personnages, un cadre et un récit riches et touchants, Life is Strange perfectionne la recette de l'aventure à choix, éprouvée par les studios TELLTATE et QUANTIC DREAM, en caractérisant à fond son héroïne et en nous proposant des choix qui lui correspondent. Émouvant et mémorable.
Verdict = énormissime
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store.
- ^ Elle se met elle-même en danger mais aussi les autres, voir la scène où elle tire sur Franck. Je pense que dans un monde idéal, Chloe devrait faire une psychothérapie sérieuse au long cours et même voir un psychiatre régulièrement (avec possibilité d'un traitement médicamenteux et/ou d'un séjour en hopital psy). C'est d'ailleurs dommage que le VG n'explore pas du tout cette piste ; mais il y avait je pense de la part des développeurs une volonté de nous faire vivre une tragédie, une histoire triste. Le message à la fin du générique de l'épisode 3 ou 4 n'est autre que : « Thanks for crying ! » Littéralement : merci d'avoir pleuré ! On peut se demander aussi dans quelle mesure le soin psy existe dans une petite ville côtière de l'Oregon.
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