Sherlock Holmes : Crimes and Punishments (PC)
Par Pierre Compignie le lundi 19 août 2024, 14:00 - Critiques toute neuves
Développé par : FROGWARES (Ukraine)
Sorti à l’origine en : octobre 2014 (Europe, version PC)
Comment j’ai pratiqué : Terminé en une vingtaine d’heures sur Steam Deck connecté à la télé via le Dock, avec la manette 360. 50 images par secondes, résolution 720p. Version Epic Games Store (sans succès / trophées) à jour au 19/08/2024. Textes en Français, voix en Anglais avec sous-titres.
Bidouilles diverses : J’ai désactivé Steam Input pour la manette 360 et j’ai attribué un modèle « souris uniquement » aux commandes du Steam Deck afin d’éviter un plantage du VG lorsque deux manettes sont connectées.
Devenez le plus grand détective de tous les temps : Sherlock Holmes ! Grâce à vos extraordinaires capacités de détective, résolvez 6 grandes affaires passionnantes et variées : meurtres, disparitions, vols spectaculaires et autres enquêtes qui vous emmèneront parfois aux frontières du fantastique.
Écouterez-vous votre sens moral, ou appliquerez-vous la justice à la lettre ?
L’immense liberté d’action de Crimes & Punishments vous permet de mener les enquêtes comme bon vous semble. Grâce aux extraordinaires dons de détective de Sherlock, choisissez les pistes à suivre, interrogez vos suspects et déterminez vous-même ceux que vous pensez être coupables… et décidez même de leur sort ! Les ramifications sont légion et vos décisions ont ainsi une véritable influence, à travers votre réputation ou encore des conséquences qui se manifesteront parfois de manière inattendue.[1]
C’est le premier vidéogiciel que je pratique dans la série des Sherlock Holmes de FROGWARES. Ce dernier est un studio de développement ukrainien qui justifie d’une belle longévité (plus de vingt ans) et qui s’est spécialisé d’abord dans le genre de l’aventure sur PC. Alors attention, ce n’est pas l’aventure au sens Indiana Jones ; c’est l’aventure au sens de la réflexion plutôt que de l’action, et de l’accent mis sur la narration. On parle du genre de l’aventure pour faire référence à tous ces VG qui agitent nos neurones plutôt que nos réflexes, au sein d’une histoire fouillée.
Je pense que FROGWARES a eu l’intelligence de ne pas rester dans sa bulle « aventure sur PC » en s’ouvrant au monde console assez tôt, dès la septième génération (PS3 et Xbox 360). Ils ont donc conçu des interfaces manette et ont appris l’écosystème console, et c’est ainsi que l’on a pu découvrir sur Xbox 360 Sherlock Holmes contre Jack l’Éventreur et Le Testament de Sherlock Holmes (deux VG qui me font très envie et sont sur ma liste, par ailleurs).
Depuis j’ai l’impression qu’ils n’ont cessé de grossir, puisqu’on les a retrouvés à chaque génération de consoles avec des œuvres de plus en plus ambitieuses visuellement, et ouvertes à un public de plus en plus large (au point qu’ils annoncent prendre un virage « action » pour leur futur The Sinking City 2, ce que je regrette) ; que ce soit en terme de nombre de machines sur lesquelles ils développent (leurs derniers titres sortent simultanément sur deux générations de consoles) que d’accessibilité de leurs vidéogiciels.
Ce sujet de l’accessibilité, je l’ai bien ressenti dans Crimes and Punishments (disons SHCP) et c’est le point de départ de ma réflexion. Dans mon expérience, chacune des six affaires (indépendantes) qui composent SHCP se divisent en deux phases on ne peut plus distinctes en terme de difficulté : la récolte des indices, puis leur exploitation pour en déduire le coupable, le mobile et la méthode du meurtre.
FROGWARES a pris le parti d’annihiler tout challenge dans la phase de récolte des indices. C’est d’ailleurs là qu’est passé, de toute évidence, le gros du budget. On dirige Sherlock dans des environnements restreints mais magnifiques de l’Angleterre de la fin du XIXème siècle, tantôt urbains, tantôt ruraux ; très évocateurs de ce qu’était la vie à cette époque, fourmillant de détails, j’adore. On interroge les témoins, on fouille les zones pertinentes ; sans jamais se mettre complètement à la place de Sherlock car l’interface nous assiste en permanence, les sujets de conversation étant imposés et il faut tous les sélectionner les uns après les autres, tandis que l’on nous signale très clairement quand une zone recèle encore des indices que l’on a ratés.
Il faut bien se dire que le VG nous met dans une position qui est celle de l’exécutant ; on déclenche les actions, mais on ne les conçoit pas, ou rarement. Contrairement au personnage Sherlock, seul face au mystère (Watson se borne ici à un soutien moral), et qui doit donc conduire son enquête de A jusqu’à Z, nous, nous disposons de l’interface magique du VG qui nous dirige à tout moment vers la prochaine action à effectuer.
Le VG n’est pas avare en mini-séquences dotées de leurs propres règles, comme le crochetage de serrure, le bras de fer, diverses analyses chimiques, etc. Les développeurs ont mis le paquet pour rendre vivante leur histoire et nous faire participer autant que possible à des actions aussi variées que possible. Un dénominateur commun cependant : une facilité déconcertante, un guidage permanent. Les dialogues, les doublages, les graphismes, les mystères à élucider, la direction artistique, les environnements variés et chargés d’ambiance, tout cela fonctionne très bien pour moi et m’a fait apprécier l’expérience ; ceci étant, je note une vraie légèreté au niveau du challenge interactif, comme si cela n’intéressait pas (ou plus) les développeurs de nous mettre au défi ?
À vrai dire ils le font encore, via la seconde phase de chaque enquête : les déductions. Ce sont des phases qui ont nécessité beaucoup de réflexion de la part des développeurs, à mon avis, mais ce n’est pas du tout là-dedans qu’est parti l’argent puisque ça se déroule uniquement dans des menus ; on revient sur tous les indices collectés, les récapitulatifs de conversations, les portraits des personnages, afin de répondre aux questions des déductions de la manière la plus juste possible ; c’est loin d’être évident !
Il y a deux sujets à aborder sur les déductions : combien elles sont difficiles, et combien FROGWARES semble avoir tout fait pour qu’on les oublie.
Elles sont difficiles car à chaque enquête, on nous demande de trancher sur une dizaine de questions à deux réponses, qui aboutiront à la désignation d’un coupable, d’un mobile et d’un mode opératoire. J’ai souvent trouvé que les deux réponses étaient viables. Exemple, dans l’histoire du train fantôme (seconde affaire), on me demande, notamment, de décider si M. Robinson est une victime (il a perdu son prototype d’une machine révolutionnaire) ou bien s’il bénéficie du crime et a orchestré une fraude à l’assurance.
Les deux propositions me semblaient possibles. M. Robinson avait signé des contrats de vente prétendument exclusifs à plusieurs acheteurs – il n’était donc pas un honnête homme – et il bénéficiait en plus d’une assurance rondelette en cas de perte. Pour autant, même les crapules peuvent subir un revers du destin, et dans le contexte d’un affrontement entre des bandes chiliennes et mexicaines, la disparition de la machine avec le train pouvait n’être qu’un dommage collatéral… Il faut donc examiner les autres pistes, et se positionner au final sur l’ensemble d’interprétations (car c’est ce que l’on fait) qui nous semble le plus pertinent.
Évidemment c’est passionnant. J’ai trouvé cela très difficile, mais passionnant. J’aurais peut-être aimé tout de même un chouïa plus d’éléments décisifs permettant de m’orienter vers la bonne décision, vers la vérité sur ce qui s’est vraiment passé.
J’ai dit que FROGWARES avait tout fait pour qu’on oublie ses déductions. Plein de choses à dire à ce propos. Il faut d’abord savoir que le VG ne dévoile pas, la plupart du temps, si notre déduction finale est la bonne. Sherlock appréhende le suspect mais c’est arrivé seulement une fois (le meutre du mari violent) que j’obtienne de sa part une confession en bonne et due forme me confirmant ma réussite. Pour toutes les autres enquêtes, le suspect nie jusqu’au bout, même s’il peut réagir d’une façon telle qu’elle me conforte dans mon idée mais sans la valider tout à fait (Miss White qui tente de se suicider, ça ne fait pas forcément d’elle la tueuse, même si le lieu où on la trouve vérifie l’hypothèse de Sherlock). Et donc, on peut très bien se planter complètement dans notre déduction, et le VG continue, et tout le monde s’en fiche !
En fait la seule façon de savoir si on a raison, c’est de consulter, lors du chapitre suivant, un onglet du menu et de maintenir la touche BACK pour révéler nos résultats – ce que le VG nous encourage activement à ne pas faire, sous prétexte que cela pourrait « gâcher notre expérience » !
Vous rendez-vous compte ? D’un côté FROGWARES met en place un challenge de déduction tout à fait passionnant, avec peut-être un léger manque d’indices décisifs mais passionnant tout de même ; et d’un autre côté, il fait tout pour que l’on ne sache pas si on a réussi ou non, et que cela n’ait strictement aucun impact sur la suite de l’aventure, y compris sa conclusion.
En plus de cela, rien n’empêche de conclure une enquête en établissant une déduction (fausse) prématurée bâtie à partir d’un ensemble d’indices et interprétations incomplet ; cela permet d’aller plus rapidement au générique de fin, au détriment de la vérité et de la justice mais visiblement ça ne trouble pas FROGWARES ?
Je suis assez perplexe par rapport à cette orientation de SHCP. Comme s’ils n’assumaient pas du tout leur challenge interactif de déduction ; comme s’ils n’avaient pas envie que cela définisse leur VG. Les gens comme moi se jetteront dessus et réfléchiront pendant des heures dans le souci de trouver la vérité ; et puis ils seront un peu déçus ensuite en s’apercevant que tout le monde s’en contrebalance, que cela n’a aucun impact sur l’aventure, que ce n’est ni obligatoire, ni valorisé d’aucune façon et qu’au contraire le VG cherche à nous dissuader de savoir si l’on a réussi ou non.
Pour ma part je cherche toujours à vivre mon expérience comme les développeurs l’ont entendu ; je n’ai donc jamais vérifié mon résultat à la fin des enquêtes (sauf dans le cas unique où le suspect avait confessé son crime), je l’ai seulement fait à la toute fin du VG. Et résultat, j’avais tout juste ! Wahou, sur les six enquêtes ! Incroyable. Pourtant je peux vous dire que je m’étais arraché les cheveux sur certaines et que j’avais vraiment passé du temps à analyser tous les indices. Je n’étais pas du tout sûr de mes conclusions. Belle réussite !
Je remercie les développeurs d’avoir intégré la possibilité de reprendre l’aventure après l’avoir terminée ; en fait on retrouve Sherlock installé dans son fauteuil devant la cheminée, et on ne peut en bouger, mais au moins on peut consulter le carnet et notamment l’onglet du menu avec le résultat de chacune de nos enquêtes, si le cœur nous en dit.
Pour conclure sur le sujet des déductions, j’aurais préféré que le VG confirme clairement en cinématique à la fin de chaque chapitre si l’on a eu tort ou raison, et qu’il ne soit pas possible de revenir en arrière ; qu’on doive assumer (ce qui n’est pas le cas actuellement car on peut recommencer le dénouement d’une affaire autant de fois que l’on veut).
Voilà, je pense avoir fait le tour. Je reste circonspect et un brin déçu par le peu d’impact accordé aux conclusions que l’on livre à Scotland Yard, tout en ayant franchement apprécié le défi intellectuel. J’ai beaucoup apprécié l’ambiance et l’univers du VG, Sherlock, Watson et tous les autres. Les affaires n’ont rien de « ouf dingues » mais sont soignées et cohérentes. Je me suis senti plongé dans cette Angleterre de 1895, avec notamment des paysages champêtres magnifiques lors du chapitre du train fantôme. Chaque cas a ses spécificités, son rythme et ses nouveautés par rapport aux précédents.
Cela me donne très envie de découvrir les autres épisodes, passés et futurs, de cette série Sherlock Holmes de FROGWARES. Slava Oukraïni.
Quelques notes éparses avant de se laisser. J’ai apprécié le fait que le VG mette souvent en scène l’intelligence empirique de Sherlock ; j’entends par là qu’il fait souvent des expériences pour se faire une idée de ce qui s’est déroulé sur la scène de crime. Par exemple, on trouve un bout de corde coupée. Sherlock se demande avec quel instrument elle a été coupée. Alors, on va devoir prendre la corde et la couper avec divers instruments, jusqu’à retrouver le même état des fibres au niveau de la coupure, que celui que l’on peut observer sur le bout coupé retrouvé sur la scène de crime.
Autre point qui n’a rien à voir : parfois l’interface (et donc Sherlock) intègre des informations que perso je n’avais pas encore obtenues. Le VG ne tient pas forcément bien compte de l’ordre dans lequel on examine les éléments du décor ou celui dans lequel on pose les questions aux protagonistes. Du coup je me suis parfois demandé comme Sherlock savait déjà telle ou telle chose, ou bien d’où venait telle ou telle info visible dans le carnet. Un peu dommage, mais heureusement pas systématique.
Mon premier Sherlock Holmes du studio FROGWARES arrive, je crois, à la croisée des chemins : après les épisodes les plus coriaces et difficiles qui s'adressaient à une niche, et avant les plus accessibles pensés pour tous les publics de 7 à 77 ans. Je tâcherai de vous dire si j'avais vu juste, au fur et à mesure de mon exploration de tous leurs titres. En l'état, j'ai beaucoup apprécié cette aventure superbement réalisée, évocatrice d'une époque révolue, qui nous prend, ceci étant, un peu trop pour de simples exécutants du génie de Sherlock et rechigne à nous confier les clefs du navire, à nous mettre véritablement dans la peau de l'enquêteur.
Verdict =dispensable|ok| vaut le coup ! |énormissime
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store.
Galerie d’images
Commentaires
Bravo pour ta performance en qualité d’enquêteur, ça n’a pas dû être de la tarte !
Plus vrai que « nature » ce paysage de la gare où j’ai eu l’impression de sentir les odeurs de la campagne! À bientôt alors pour un nouveau Sherlock !