The Last Guardian (PS4)
Par Pierre Compignie le dimanche 22 septembre 2024, 20:00 - Critiques toute neuves
Développé par : JAPAN STUDIO et GENDESIGN (Japon)
Sorti à l’origine en : décembre 2016 (Europe, version PS4)
Comment j’ai pratiqué : Terminé en moins de 15h, sur PS5 (version 1.00) et PS4 Pro (version 1.03). 60 images par secondes (en 1.00, sinon 30), résolution 1080p. Textes en Français, voix en langage inventé.
Bidouilles diverses : J’ai appliqué une méthode très complexe afin de pouvoir télécharger la version dématérialisée 1.00 du VG sur ma PS5. C’est aussi possible, plus simplement, en possédant un exemplaire physique et en veillant bien à déconnecter sa console d’internet. J’ai alterné les deux versions sur mes machines PS5 et PS4 Pro, en passant à la PS4 Pro en version 1.03 pour les quelques scènes qui sont beuguées en 1.00.
Découvrez la puissance de l’amitié entre un enfant et son compagnon mystique, dans un des jeux les plus attendus de cette décennie, signé par le génie créatif à l’origine d’Ico et de Shadow of the Colossus.
Entrez dans un conte émouvant de camaraderie et d’espoir, où Trico et vous-même serez confrontés, au cours de votre périble, à des casse-tête complexes pour découvrir la vérité enfouie sous un mystère ancestral. Gagnez la confiance de Trico pour surmonter d’énormes obstacles tout au long du voyage le plus inoubliable de votre vie.[1]
« Voyage le plus inoubliable de votre vie ». C’est intéressant qu’ils parlent de voyage car je trouve en effet que ce média a le potentiel de nous faire beaucoup voyager. Il y a une semaine je poursuivais Syberia 3 avec une amie et c’était comme si j’étais dans cette ville sibérienne, Valsembor, avec son port, sa place principale, sa marie, son funiculaire, sa taverne avec ses piliers de comptoir… La nature, les paysages sont tout à fait différents de ceux que je vois par ma fenêtre ; et alors, j’ai le sentiment d’être ailleurs, de vivre une aventure… dans le confort de mon salon et de mon canapé.
Les vidéogiciels ont quelque chose de magique qui me fascine toujours après plus de vingt-cinq ans. C’est une fenêtre sur un autre monde, une autre réalité ; plus explicite qu’un roman et plus ouverte à l’exploration et au temps long qu’un film ou une série.
La description par Sony de The Last Guardian (disons TLG) parle d’une amitié puissante ; moi j’irais plus loin, je parlerais d’amour ; un amour infini et inconditionnel d’un animal pour son humain. En repensant aux deux œuvres précédentes de Fumito Ueda, Ico et Shadow of the Colossus, je me dis que là où le premier mettait en scène un amour naissant (l’entraide entre Ico et Yorda) et où le second racontait un amour mort (épopée funèbre où Wanda abat seize bêtes gigantesques et se damne dans le but de ressusciter sa bien-aimée) ; TLG nous raconte un amour éclatant, vibrant, au présent, sous nos yeux. C’est en cela qu’à mon sens, TLG est l’œuvre la plus émouvante et la plus lumineuse de Fumito Ueda. La bête, Trico, subit les pires souffrances et n’hésite jamais à mettre sa vie en jeu si cela peut « nous » sauver, en tout cas le petit garçon que l’on incarne.
À la fin, aux prix d’innombrables blessures, elle nous ramène à la maison, alors même que les gens de notre village pourraient l’attaquer et la mettre à mort. Mais Trico nous ramène car notre vie et notre bonheur parmi les notres lui importent plus que sa propre existence.
TLG nous fait partager rien moins que le point de vue d’un être qui est l’objet de l’amour désintéressé d’un animal qui nous considère comme sa propre famille. Je n’ai pas de mot pour dire à quel point cela m’a ému. J’ai pleuré tout le générique de fin.
Il faut dire que les développeurs ont magistralement réussi à donner vie à la créature Trico. Il n’y a pas une animation qui fasse tâche ; son comportement est celui d’un animal indépendant, il ne fait pas tout ce qu’on lui demande à la seconde, il a son propre rythme, son propre désir. Il peut être sauvage, il l’est d’ailleurs au début, mais au fil de l’aventure il est de plus en plus réceptif à ce qu’on lui demande.
Trico est gigantesque par rapport à nous. C’est une créature qui est à la fois mille fois plus puissante que nous et à la fois très vulnérable. Sur notre route, on voit Trico paralysé à la vue d’un certain motif, et souvent en désavantage par rapport à ses semblables qui l’attaquent. Sa survie n’est donc jamais garantie ; son agilité n’est pas sans faille et il arrive qu’il se rattrape in extremis après un saut mal engagé, voire pas du tout.
C’est un animal infiniment attachant ; par l’amour qu’il porte au petit garçon jusqu’à la fin, par sa majesté et par sa fragilité aussi.
Pendant un petit moment (facilement un gros tiers de l’aventure) on ne sait pas au juste ce qu’on fait là et quels sont les enjeux exactement. En fait, le VG commence dans une grande caverne où le petit garçon se réveille à côté d’une créature immense enchaînée, que la voix off du narrateur qualifie de « bête mangeuse d’homme ». On ne sait pas comment les deux sont arrivés là, mais genre : pas du tout. Rapidement on va voir que la bête n’est pas si méchante et on tente de collaborer au mieux avec elle pour quitter la caverne.
Mais je ne savais pas vraiment où l’on était censé vouloir aller ; au-delà de sans cesse « trouver la sortie ». Cela me procurait une impression d’aventure assez abstraite ; comme si les développeurs avaient voulu faire un VG à partir d’une collaboration petit garçon et animal géant, mais sans prendre la peine de scénariser tout cela, de donner un contexte…
Alors qu’en fait si, totalement ; mais cela arrive tardivement. La seconde fois où Trico nous avale (pas de panique), une cinématique flash-back nous dévoile… le début de l’histoire, du point de vue de Trico ! J’ai été très surpris car ce petit film correspond tout à fait à ce que l’on aurait pu voir en introduction, et pose bien les enjeux : le petit garçon a été kidnappé dans son village une nuit par un Trico apparemment « sous emprise » (les yeux rouges), et ensuite, alors qu’ils volaient vers la destination où Trico devait semble-t-il ramener le garçon, un éclair a frappé Trico, qui est tombé comme une flèche, a été recueilli par des armures animées et enchaîné au fin fond d’une caverne. J’ai compris que la foudre avait « dé-matrixé » Trico (libéré son esprit de l’état d’hypnose dans lequel il se trouvait) et c’est pour ça que les armures l’ont emprisonné. Mais elles n’avaient pas prévu que Trico transportait dans sa gueule le petit garçon, qui va l’aider à se libérer…
À compter de ce moment, le VG dévoile de façon très organique ce qui se trame dans son univers : pas de documents à ramasser ici ni de dialogues explicatifs ; il s’agit d’observer les actions que l’on nous montre. J’ai compris que dans une vallée appelée le « Nid » une espèce de machine, une conscience désincarnée, survit grâce à la livraison de petits garçons. Des armures animées se chargent d’asservir des créatures puissantes, les Trico, afin qu’elles parcourent le pays à la recherche de petits garçons à enlever et à livrer au « Maître de la Vallée ».
C’est un système où le vivant est exploité, la vie bafouée, pour qu’une espèce de machine éternelle survive. Les Trico, des créatures majestueuses et bienveillantes, sont équipées d’armures et transformées (figurativement) en monstres maléfiques.
On devine même comment les humains vivent avec ça : quand le garçon est enlevé par Trico au début de l’histoire, l’un des villageois lui dit : « rejoins les élus ». Cette phrase reste ambiguë, mais moi j’interprète que les hommes ont fini par prendre une vile machine pour Dieu, que les enfants qu’on leur enlève doivent être des « élus » alors que leur destin est simplement d’être avalés et d’alimenter en énergie vitale un système laid et désincarné qui pourrait être une I.A. ou un Elon Musk ayant trouvé la formule pour « vivre » éternellement – et si tout cela se passait en réalité dans notre futur…? J’aime l’idée que l’ennemi de l’histoire, l’antagoniste, le Maître de la Vallée, soit une survivance d’un monde techno-industriel qui a couru à sa perte. La Vallée, le lieu que l’on traverse, est un endroit immense et mort, qui a pu être il y a des centaines ou des milliers d’années une ville grouillante avec des voitures volantes comme dans Le Cinquième Élément…
L’univers de TLG est extrêmement évocateur et je trouve qu’il active beaucoup l’imagination. C’est un geste artistique finalement assez rare dans les vidéogiciels de ne quasiment rien expliciter ou formuler. C’est l’exact opposé, par exemple, d’une production comme Dishonored où on te livre des détails sur l’univers via des dizaines de textes à ramasser qui te surexpliquent tout avant que tu te poses une seule question. Cela me semble tellement plus intelligent et stimulant la méthode Ueda…
Pour parler un peu plus concrètement de ce qu’est TLG : c’est une progression au sein de ruines monumentales et d’une nature qui a repris ses droits. On doit en permanence trouver un chemin par lequel il est possible de continuer notre route, pour soi-même et pour Trico. On est sans cesse arrêté par des obstacles, que ce soit un gouffre, une porte fermée, etc, et on doit à chaque fois trouver une méthode pour que nos deux héros puissent passer. Ça ne s’arrête jamais et le temps passe très vite !
Ce que je note c’est que j’ai rarement eu l’impression d’être face à des obstacles abstraits de jeu vidéo. Les décors ont une configuration à laquelle on doit trouver comment s’adapter, et ne semblent pas avoir été conçus pour qu’on puisse les traverser. Les épreuves ont cette faculté de sembler organiques, diégétiques, tandis que les solutions se renouvellent en permanence. Chaque environnement est un défi à part qui exige une nouvelle idée. C’est très créatif, c’est engageant et à la fois ça m’a toujours donné le sentiment de vivre une aventure humaine et pas une succession de niveaux abstraits façon simulateur.
Je comprends que le VG ait pris un temps fou à produire… D’autant plus quand je vois le naturel avec lequel Trico évolue au sein des espaces, quand tant et tant de personnages dans les autres vidéogiciels se coincent les bras dans les murs, courent dans des portes fermées, etc.
Je l’ai déjà dit mais je le répète : Trico est le clou du spectacle ; cette magnifique bête se comporte comme un vrai animal. Elle s’ébroue, elle pousse des petits cris, ses oreilles bougent quand on l’appelle, elle se gratte derrière les oreilles, elle regarde tout autour d’elle… Sur plein d’aspect Trico m’a rappelé mon chat. Pour moi ce qu’ils ont accompli est une véritable prouesse.
Et puis il y a des scènes où Trico nous protège et se bat contre d’autres Trico (matrixés, sous emprise) qui nous veulent du mal, et il se bat comme un beau diable, mais il est mordu, blessé, mutilé, reçoit des lances (que l’on peut ensuite retirer de son corps)… Il subit les pires souffrances pour son petit humain. On peut l’apaiser en le caressant après un combat. C’est beau.
Les scènes de combat qui ont tendance à se répéter sont les affrontements contre des amures animées, qui tentent de nous enlever (comme les ombres tentaient d’enlever Yorda dans Ico). Les confrontations avec d’autres Trico sont des moments exceptionnels où l’on tente de sauver « notre » Trico avec nos maigres moyens, en exploitant l’environnement (ramasser la queue du Trico ennemi, la placer sous une herse et abaisser cette dernière, par exemple).
Pour nuancer ce panégyrique : j’ai eu quand même beaucoup de difficultés avec le contrôle du garçon. J’ai trouvé que le contrôle manquait beaucoup de fiabilité. Combien de fois le garçon se déplace dans la direction inverse que je lui demande quand il est sur le dos de la créature ; il pousse tout et n’importe quoi sans même que l’on maintienne la commande saisir ; je n’ai jamais compris comment le faire sauter depuis une corde, il semble préparer son saut quand ça lui chante ; il a parfois de soudaines et grosses accélérations quand il se relève d’une chute ; ses sauts sont tout un poème, entre la distance ajustée arbitrairement par le VG, l’accrochage capricieux et le rattrapage in extremis à une main qui prend une plombe alors même que l’on est juste en dessous de la corniche… C’est peu dire que j’ai pu pester contre la maniabilité !
Concernant Trico, certes il ne fait pas ce que je lui demande à la seconde, mais c’est un animal qui a son propre rythme et je pense que le propos du VG est aussi de nous faire nous y adapter. Ceci étant, la version 1.00 que j’ai pratiquée sur PS5 pour les 60 ips m’a bloqué plus longtemps que de raison à certains passages, avec un Trico récalcitrant que je n’ai pas retrouvé en version 1.03 pratiquée sur PS4 Pro. Le rendu à 60 ips est absolument magnifique, mais la contrepartie est assez sévère, avec quelques points de réel bloquage qui rendent obligatoire la mise à jour en 1.03 pour les passer. Vraiment, quel dommage que l’on ne puisse pas pratiquer à 60 ips la version 1.03… Ce n’est pourtant pas compliqué de rajouter dans les options un interrupteur « 60 fps » !
Hormis la « cinématique d'intro » qui arrive trop tard à mon goût et le contrôle hasardeux du petit garçon, je n'ai rien à reprocher à TLG. C'est pour moi une œuvre puissante et unique, captivante, qui met en scène comme aucun VG auparavant un animal éclatant de vie, de naturel, et qui fait montre d'un attachement, que dis-je, d'un amour envers son humain, que je trouve bouleversant. Le tout sous la forme d'une exploration à obstacles dans un univers gigantesque, magnifique et mystérieux, à la toile de fond complexe révélée subtilement. Un chef d'œuvre à mon sens, l'aboutissement d'une trilogie de l'amour par Fumito Ueda, dont c'est l'opus le plus lumineux et le plus émouvant.
Verdict =dispensable|ok|vaut le coup !| énormissime
Note(s)
- ^ Présentation du Playstation Store.
Galerie d’images
Commentaires
Quel bel éloge as-tu rendu à ce VG hors du commun qui t’aura fait passer de très bons moments!
Trico est absolument « craquant » et subtile comparaison à Elon Musk et à l’IA !
L’enthousiasme et l’émotion se sont fait ressentir tout le long ! Bravo !