Devotion (PC)

Développé par : RED CANDLE GAMES (Taïwan)

Sorti à l’origine en : février 2019 (Europe, version PC)

Comment j’ai pratiqué : Terminé en 3h (2 sessions) sur Steam Deck (docké) avec la manette 360. 50 images par secondes, résolution 720p sur ma télé. Version 412cce31 téléchargée sur le site du développeur. Textes en Français, voix en Mandarin (je crois) avec sous-titres.

Bidouilles diverses : J’ai ajouté le VG à Steam comme « jeu non-Steam » et choisi l’outil de compatibilité Proton 9.0-4. J’ai aussi modifié le fichier config.json pour activer la langue française, selon les instructions du développeur sur son site.

From the creators of the IndieCade Journey Award winner Detention, Red Candle Games brings you a story Inspired by East Asian folk culture. Devotion is a first-person atmospheric horror game depicting the life of a family shadowed by religious belief. Explore as a 1980s Taiwan apartment-complex lost in time gradually shift into a hellish nightmare. Delve into the vows each member of the family has made, and witness their devotion.

Story

You step into your apartment, 80s music drifts through the air, an idol show plays on the television; a nostalgic setting surely, but what is this feeling of unease? You question this place you used to call “home,” noticing as it distorts with every shift of your eyes, anxious as your surroundings skirt the precipice of the extraordinary. As you push through each memory, uncovering the layers of each mystery, you may find buried in this home, the unsettling truth of those who lived here. “Remember what you prayed for…”

Features

  • First-person atmospheric horror
  • Story-driven exploration and intrigue
  • Sound design applying the use of East Asian instruments and 80s Taiwanese music
  • Relive the 1980s Taiwanese lifestyle through visuals and setting
  • Unique Taiwanese/East Asian reference (folk culture, elements of taoism/buddhism)[1]

Je me suis longtemps trouvé intrigué par ce vidéogiciel horrifique en 3D qui a subi de plein fouet la brutalité de la dictature chinoise et la soumission cynique des vendeurs occidentaux. Pour une simple vanne ciblant le président chinois Xi Jinping (le comparant à Winnie l’ourson et le traitant d’idiot – n’hésitez pas à faire une pause ici dans la lecture si vous êtes choqués par tant de violence), Devotion s’est vu retirer son droit à exister ; retiré de toutes les plateformes de vente en ligne (Steam, GOG…), il n’est reparu que deux ans plus tard de façon confidentielle sur le site même du développeur RED CANDLE GAMES.

Je trouve cela abject. Évidemment il se passe bien pire sur la planète et personne n’est mort dans cette affaire à ma connaissance ; mais on parle du fruit du travail certainement passionné d’une équipe sur plusieurs années qui se voit privé de rencontrer son public pour une raison bête et injuste qui illustre bien le gros, gros souci qu’ont encore certains États avec la plus banale et saine liberté d’expression… Que les vendeurs occidentaux suivent le mouvement pour ne pas contrarier le marché chinois me dégoûte ; ils n’ont vraisemblablement que peu de morale ou d’éthique.

Aujourd’hui j’ai terminé l’aventure de Devotion et je suis encore plus désolé qu’avant pour les développeurs car je trouve le VG très soigné et ambitieux dans sa forme. Je n’ai pas adhéré à tout, mais j’ai le sentiment que les développeurs ont fait ce qu’ils voulaient, qu’ils se sont donné les moyens et qu’ils n’ont rien bâclé ; qu’ils ont réussi à donner forme à leur vision artistique.

Devotion rentre clairement dans la catégorie que je nomme les « fantasmagories de culpabilité », ces œuvres qui plongent leur protagoniste dans une espèce de purgatoire fantastique visant à briser son déni et in fine lui faire admettre sa responsabilité dans le sort cruel d’un être cher ou d’une personne innocente.

Généralement je suis assez saoulé par ces histoires car tout ce qui s’y passe n’a aucune réalité et ne peut être abordé que sous l’angle de la symbolique, ce qui annule tout… Cela m’ennuie, je ne sais jamais à quoi m’en tenir exactement ; le héros est « bloqué » dans son déni pour une durée arbitraire, quelles que soient les péripéties terrifiantes de son parcours, jusqu’à ce que le scénariste décide tout seul que, ah c’est bon, ça y est il en a assez bavé, il va pouvoir faire face à la réalité maintenant ; et voici le générique de fin.

Devotion aussi est comme ça, et c’est pour moi sa limite, avec aussi le peu d’intérêt du challenge interactif, qui se contente de nous faire avancer le long d’un couloir, trouver des objets bien en évidence dans l’appartement de la famille du héros et les utiliser ailleurs dans l’appartement (ou dans l’une des deux autres versions temporelles de l’appartement, si l’on évoque le moins dirigiste des quatre chapitres du VG).

Mais Devotion a pourtant su me captiver. On retrace petit à petit l’histoire du héros et de sa famille, depuis leur emménagement plein d’espoir en 1980 dans le fameux appartement, jusqu’à ce funeste jour de 1987 où le héros subit une sorte d’effondrement mental lorsque sa femme lui demande nonchalamment où se trouve leur fille, Mei Shin.

Les époux sont issus du milieu du show-biz, lui scénariste à succès, elle chanteuse et actrice véritable icône de sa génération. Elle accepte de devenir femme au foyer pour s’occuper de leur enfant, tandis que Monsieur continue d’écrire. Hélas, le bonheur familial ne tarde pas à s’étioler entre les soucis de santé de Mei Shin, l’inspiration en chute libre de l’écrivain, sa dépense déraisonnée des économies du foyer en bibelots, et… sa chute dans l’obscurantisme de la religion, par le biais de sa voisine voyante qui le mène par le bout du nez en lui promettant de régler tous ses problèmes.

La dévotion du titre, c’est la soumission totale du protagoniste à des croyances fausses qui aboutissent à la mort de sa fille au cours d’un « rituel », censée la guérir, pour lequel il a eu pour consigne de la laisser enfermée toute seule pendant sept jours dans la salle de bain. Le héros perd pied avec la réalité, lentement mais sûrement. Le VG est sans équivoque dans la confirmation du charlatanisme de la voyante : on écoute un enregistrement de conversations dans lesquelles nombre de ses « consultants » se plaignent d’avoir été arnaqués.

Je trouve intéressant qu’avec son titre « dévotion », le vidéogiciel charge clairement plus la croyance en soi, que la malveillance d’individus comme la voyante de l’histoire. En ce sens, le récit de Devotion tire à boulets rouges contre la religion, dans une culture qui semble en être empreint ; cela n’est pas sans me rappeler la récente série Netflix Sermons de Minuit, qui traîne un peu en longueur mais représente elle aussi le danger de la croyance aveugle.

Les développeurs se sont donné les moyens de faire vivre leur histoire et leur univers. La petite Mei Shin rêve d’être célèbre comme sa mère (pour que son père jamais dispo pour elle la regarde enfin ?) et participe un jour à un concours de chant télévisé. Une vidéo en prises de vue réelles a été réalisée, avec de vrais acteurs ! À un autre moment, le père lit à sa fille un conte, et le VG d’horreur se transforme alors en un VG de plateformes champêtre en 2D pour bambins. La fin quant à elle, est un long trip visuel porté par une chanson pop-rock asiatique.

Il y a une richesse psychologique et d’histoire dans Devotion que je n’ai pas vue dans Layers of Fear par exemple. Il y a une sensibilité bien différente ; on voit des choses dans Devotion que l’on n’a pas l’habitude de voir ou d’entendre dans des vidéogiciels occidentaux. Il y a aussi de rares éclats d’une violence inhabituelle, je pense à la scène, certes irréelle, où le protagoniste s’éborgne puis s’arrache douloureusement la langue…

Même si je n’ai pas adhéré à 100% à Devotion je lui trouve un réel intérêt artistique et suis content de l’avoir expérimenté. Je suis admiratif de l’ambition du projet et de sa finition impeccable, hyper sérieuse. La scène post-générique m’a laissé penser que le père végète maintenant dans un hôpital psychiatrique…

Par ailleurs, c’est le genre de titres qui me donnent raison de renommer les jeux vidéo en vidéogiciels : on ne joue pas à Devotion, on le vit, on l’expérimente, on le pratique à la limite… Mais il n’y a rien de ludique ici. Il y a de l’interactif, on nous fait faire des choses à la manette, mais ce n’est pas pour nous amuser, en tout cas pas au sens que l’on associe généralement au jeu vidéo et qui le distinguerait supposément, fondamentalement, des autres formes narratives telles que le cinéma et la littérature.

En parlant de manette, bravo aux développeurs car leur contrôle de la caméra au stick droit est juste parfait, à la fois précis, vif, agréable, fluide… Ils ont même implémenté des vibrations lors de certains moments-clefs de l’aventure. Combien de vidéogiciels exclusifs PC peuvent s’enorgueillir d’un support manette aussi abouti ?

En résumé, Devotion, c’est une fantasmagorie de culpabilité réalisée avec un sérieux, une ambition et une sensibilité inhabituelles par rapport à ce que j’ai connu jusqu’à présent. Je ne suis pas fan mais je respecte, et vu combien le public peut être plus favorable que moi avec ce type d’œuvres (pensez au succès du récent remake de Silent Hill 2), je trouve ça désolant qu’il n’ait pas pu trouver son public à cause de la faillite éthique et morale d’une partie de l’humanité.

Un vidéogiciel d'horreur taïwanais qui retrace patiemment le drame familial à l'origine du purgatoire fantastique que notre protagoniste traverse comme un fantôme. Certes, je n'aime habituellement pas les « fantasmagories de culpabilité », mais celle-ci a su me captiver par la richesse de son histoire, l'originalité de son imagerie et l'ambition de sa production. Hélas, le navrant « Winnie l'ourson-gate » a eu raison de sa rencontre avec le public.
Verdict = dispensable | ok | vaut le coup ! | énormissime

 

Note(s)

  1. ^ Présentation du site des développeurs Red Candle Games.

 

Galerie d’images

01
Un point qui m’a vraiment posé problème en terme de compréhension, c’est l’âge de Mei Shin. Selon ce document que l’on ramasse dans l’appartement de 1987, Mei Shin est alors âgée de 10 ans. Ok, mais alors, pourquoi, sur un autre document qui date de 1980, les parents discutent et disent que leur enfant n’est pas encore né ? Cela pourrait être un souci de traduction, ça ne m’étonnerait pas car de nombreux passages écrits m’ont semblé très, très douteux.
02
J’ai trouvé la traduction française parfois mauvaise, comme ici la seconde phrase ; l’idée est plus, à mon sens, que les longues heures d’isolement de l’écrivain dans son bureau n’aboutissent à aucune production concrète de scénario. L’idée importante est qu’il ne ressort rien de valeur de son écriture, pas qu’il n’écrit pas en soi !
03
Il y a une séquence de poursuite vers la fin, où l’on peut être attrapé et battu par l’épouse du héros, qu’il s’imagine dans son délire être « possédée ». Ce passage m’a rappelé les poursuites de SILENT HILL : DOWNPOUR, en ce qu’on peut choisir le mauvais chemin à des intersections mais que celui-ci finit toujours par nous ramener en arrière avec une nouvelle chance alors de partir dans la bonne direction (plutôt que de nous entraîner dans une impasse qui nous condamnerait).
04
La fin offre un festival visuel assez abstrait avec une chanson qui m’a un peu rappelé celle de SILENT HILL 3.
05
Le corps du personnage apparaît lors des cinématiques à la première personne comme ici, mais pas en temps normal quand on est aux manettes.
06
La chambre de la petite.
07a
Ces sculptures en bois, immobiles, semblent nous montrer les activités auxquelles s’adonnait le couple dans les premiers jours de la vie commune…
07b
…peu après, alors que l’on est dans le couloir, on retrouve toutes les sculptures rassemblées à l’entrée, comme en train de nous observer… Flippant, d’autant que si on regarde d’abord avec le briquet éteint puis qu’on l’allume, ce sont toutes les sculptures à l’arrière qui apparaissent d’un coup à la lumière.
08
Rien à voir mais j’aimerais bien un paravent comme ça moi aussi, devant la porte d’entrée.
09
Un grand classique de la fantasmagorie de culpabilité : les inscriptions sur les murs s’adressant personnellement au protagoniste, signe clair que l’on est dans sa tête.
10
On peut observer les objets, les faire tourner et parfois on découvre des détails intéressants : la mention « à économiser », écrite par l’épouse, en dit long sur la dynamique de couple à l’œuvre.
11
Et oui c’est la femme qui fait tout dans ce foyer :-/
12
La progression repose souvent sur la collecte d’un objet et son utilisation ailleurs à un endroit-clef…
12b
…ici on rejoue l’emménagement du couple : on accroche au mur les photos de Madame, star de la chanson et du cinéma.
13
De nombreux objets et documents nous permettent de nous immerger dans l’histoire de la famille.
14
Il y a une espèce de tâche noire cheloue en haut à droite sur le mur du fond, qui s’assombrit quand on bouge la caméra… Sans doute un petit bogue, seulement à ce moment précis de l’histoire vers le début.
15
J’adore ce passage, regardez au fond à droite de l’image.
16
Encore un détail super : quand on descend un escalier, notre regard descend par à-coups, une marche à la fois… Magnifique !! Et quand on marche, le mouvement de tête est lui aussi fidèle à celui d’un humain, s’abaissant légèrement à chaque pas.
17
Attention les yeux, pour cette scène qui fait très mal.
18
L’appartement est agencé différemment selon les époques de la vie de la famille.
19
Sur toutes les photos de famille, le visage de notre personnage est soit détruit, soit hors-champ… Il ne peut littéralement plus se voir.
20
Une autre scène que je trouve assez flippante.

 

Commentaires

1. Le jeudi 19 décembre 2024, 17:09 par Marie-Thérèse

Ça a dû être agréable de descendre l’escalier, comme si on y était, j’ai compris ! J’ai trouvé les images très jolies et le paravent aussi ! Merci pour ce partage !

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