Half-Life // L'extension « Blue Shift » (PS2)

Développé par : GEARBOX SOFTWARE (Texas)

Sorti à l’origine en : juin 2001 (Europe, version PC)

Comment j’ai pratiqué : Terminé en quelques heures (3 sessions) en mode de difficulté normal (2 sur 3), sur PS2 avec la manette Dual Shock 2. 30 ou 60 images par secondes, j’ai alterné (il y a une option pour ça). Version 1.20. Textes et voix en Anglais, sans sous-titres (inexistants).

Bidouilles diverses : J’ai téléchargé cette version PS2 non officielle, développée par un amateur, et l’ai pratiquée grâce à Open PS2 Loader (1.2.0 Beta 2049) sur ma console PS2 non modifiée (un logiciel qui permet, entre autres, de lire sur sa PS2 des VG stockés sous forme d’image disque sur son réseau local domestique).

Créé par Gearbox Software et sorti en 2001 en tant qu’add-on de Half-Life, Blue Shift vous propose de revenir au centre de recherche de Black Mesa, en incarnant Barney Calhoun, le garde qui a si souvent aidé Gordon. [1]

En pratiquant Blue Shift, assez vite, j’ai été frappé de constater à quel point j’étais pris dans l’expérience, happé, captivé par le vidéogiciel. J’ai fait la campagne originale quand j’étais au lycée, dans sa version PS2, il y a plus de quinze ans. J’avais bien aimé mais n’en avais pas non plus gardé un souvenir incroyable. La version PC de Blue Shift m’attendait bien au chaud à peu près depuis ces années-là, car j’avais pu acheter (merci mes parents) un coffret « Génération » pour PC avec Half-Life et toutes ses extensions. Finalement, tout récemment, j’ai appris qu’un moddeur avait réussi à porter Blue Shift sur PS2, en partant de la version PS2 de l’original. Comme je suis un aficionado de la manette et encore plus de la Dual Shock 2 (la manette de la PS2), il ne m’a pas fallu longtemps pour jeter mon dévolu sur cette version pour mon projet de découverte (et critique !) de Blue Shift.

La présentation officielle ne donnant pas beaucoup de renseignements sur l’histoire, pour une fois, je vais m’y coller. La campagne originale nous mettait dans la peau de Gordon Freeman, un physicien dans la base scientifique souterraine secrète américaine de Black Mesa ; que personnellement je situerais, vu la gueule des décors les rares fois où l’on met le nez dehors, au Nevada (du sable, des cailloux et des secrets – vous me direz ce n’est pas le seul État américain présentant ces caractéristiques mais dans mon imaginaire c’est le premier qui vient). Gordon Freeman donc, le jour où l’on en prenait le contrôle, participa à une expérience qui dérapa et qui ouvra une brèche entre notre monde et celui de monstres extraterrestres. La base se retrouva envahie d’aliens, les scientifiques éparpillés façon puzzle, et par-dessus le marché les militaires arrivèrent pour tuer tous les survivants et étouffer l’affaire. Côté fiction américaine on était alors en plein dans les complots à la X-Files et ça se sentait (ce n’est pas un reproche).

Dans ce capharnaüm, Gordon Freeman, dirigé d’une main de maître par le public, révéla un potentiel inattendu pour le combat et la survie, et collabora avec le personnel survivant de Black Mesa pour refermer la brèche et sauver ce qui pouvait l’être. Il y parvint, et se retrouva lui-même téléporté dans un métro de l’espace aux côtés d’un très mystérieux individu avec un costard, aux allures de voyageur inter-dimensionnel omniscient, croisé à plusieurs reprises au cours de l’aventure…

Blue Shift, ou BS appelons-le ainsi, se propose de nous faire vivre la crise de Black Mesa du point de vue du garde de sécurité Calhoun (qui n’avait pourtant, me semble-t-il, pas un grand rôle dans Half-Life – s’il en avait un tout court). Je n’étais donc en soit pas franchement, franchement emballé par le synopsis, mais les critiques étaient bonnes et la durée courte, donc pourquoi pas ?

Comme j’en parlais dans mon intro, j’ai trouvé BS d’une efficacité redoutable. Il s’agit d’un FPS, oui, mais pas fait n’importe comment. D’abord l’interface est minimale et ne nous donne AUCUN renseignement sur ce que l’on doit faire. Pas le moindre objectif ou indicateur d’objectif à l’écran. D’ailleurs, souvent les niveaux ne se parcourent pas de façon linéaire, le but n’est pas aussi simple que de rejoindre la sortie en tuant tout ce qui bouge sur notre chemin. Le VG attend de nous des actions précises, et il s’agit d’une part de découvrir lesquelles et d’autre part de comment les accomplir.

Cela passe souvent par le simple fait d’écouter ce que nous disent les personnages que l’on rencontre et qui nous adressent la parole. L’absence de sous-titres (malvenue pour les sourds) oblige à tendre l’oreille et à être attentif. Je n’ai pas tant d’exemples en tête qui me viennent de FPS où je dois écouter les personnages pour déterminer mon objectif. C’est peut-être une des grandes réussites du design de Half-Life : on est actif en permanence, le chemin n’est pas fléché, rien n’avance sans nous. C’est super stimulant. Le fait que notre personnage ne parle pas participe à ne pas nous faciliter la tâche. On te donne les clefs du véhicule et débrouille-toi : aucune cinématique, rien, tu es en contrôle total 100% du temps.

Je trouve à Half-Life une dimension : on a un film à tourner, déjà écrit, mais on ne nous donne pas le scénario ; et c’est à nous de trouver et d’interpréter (jouer) le script. Les personnages rencontrés nous y aident en jouant leur rôle et en nous disant ce que l’on doit faire. D’un point de vue challenge on est mobilisé, c’est très engageant ; d’un point de vue narratif par contre, cela ne fonctionne pas tellement. Quel sens cela a-t-il d’incarner un personnage sans accès à ses pensées et émotions ? Quel sens cela a-t-il d’incarner un personnage dont l’objectif est toujours ce que n’importe quel personnage secondaire lui demande de faire ? Je pense par exemple à ce scientifique rencontré vers la fin, Rosenberg, qui nous expose clairement son objectif de se casser d’ici le plus loin possible et « laisser Freeman et ses alliés mener une bataille qu’ils ne peuvent gagner ». Comme dans la peau de Calhoun je n’ai pas d’autre choix que de participer au plan de ce scientifique individualiste, est-ce que cela fait de Calhoun un individualiste, ou bien plutôt un non-personnage qui fera de toute façon tout ce que le premier péquin rencontré exigera de lui ?

Je n’ai pas le sentiment que Calhoun soit très défini comme héros ; et la mise en scène du VG ne m’autorise de toute façon pas à partager son intériorité. BS, comme HL, prend le parti de ne jamais laisser parler son héros à voix haute. Pourtant, quand on appuie sur la touche d’interaction face à un personnage secondaire, ce dernier formule une phrase qui ne peut qu’être une réponse à une question bien spécifique de notre personnage. Je pense à ces scientifiques qui me disaient « Rosenberg ? Non ce n’est pas moi », donc il était sous-entendu que je leur avais demandé s’ils étaient Rosenberg ; pourtant mon personnage n’avait pas pipé mot.

Vous pourriez aussi vous demander pourquoi je pars du principe que Calhoun n’est pas défini, plutôt que de penser que c’est un individualiste qui se retrouve bien dans les dessins de Rosenberg. Le VG est conçu de telle sorte qu’une partie du challenge est de découvrir ce que l’on est censé faire, notre rôle dans le script écrit par les développeurs. C’est l’une des forces du challenge interactif, qui le rend si stimulant en permanence, mais cela contraint aussi les développeurs à ne mettre devant nous que des interlocuteurs à suivre aveuglément. Comme notre personnage n’a pas le droit de s’exprimer (dans le mode de représentation choisi par les développeurs), donc que l’on ne connaît pas ses valeurs, ses désirs profonds (seulement son job), cela n’aurait pas de sens de nous demander à nous public de remettre en question les directives d’un personnage secondaire. Pourquoi ne suivrait-on pas les plans de Rosenberg ? Le curseur est vert quand on le pointe sur lui, indicateur d’un allié. On n’a pas d’enjeux internes connus au personnage de Calhoun, auxquels on pourrait confronter la mission donnée par Rosenberg pour choisir de la suivre ou de ne pas la suivre.

Le design même de Half-Life confine la personnalité du héros à celle d’un larbin influençable sans volonté autre que celle de survivre et sortir de là. Cela se ressent évidemment plus en présence d’alliés que quand on se retrouve seul. On n’est jamais vraiment leader puisque l’on est toujours à se demander ce que l’on est censé accomplir, et à sauter sur la première mission explicite sorti des lèvres d’un scientifique rencontré.

Mais ça c’est propre à HL, et puisque BS n’est « qu’une » extension, c’est parfaitement logique que l’on retrouve cette philosophie de design – ainsi que ses limites (de mon point de vue).

Par ailleurs il me semble que BS reste chiche dans son récit, dans ses épreuves. Non seulement c’est court, mais c’est aussi plutôt simple. On ramasse quantité de munitions mais il n’y a pas tant d’ennemis. Pas de batailles homériques, pas franchement de décors impressionnants. J’ai bien aimé cette salle remplie d’un liquide radioactif, qu’il faut vider pour positionner, au fond, des barils qui nous permettront, une fois le liquide revenu, de traverser l’étendue en sautant. J’ai bien aimé juste après la façon dont on doit recharger une pile, en la poussant laborieusement et maladroitement dans son chargeur et en activant à la main l’interrupteur. Des petites énigmes comme ça qui se font très bien, voire même qui me font me sentir un peu intelligent. Mais rien de franchement mémorable, qui dépasse l’anecdotique…

J’ai surtout parlé de narration puisque c’est cela qui me passionne, mais on pourrait aussi parler de la partie combat de BS, de ses fusillades. Les affrontements contre les militaires m’ont un peu gonflé. Je trouve ça ridicule d’avoir à leur vider la moitié d’un chargeur en pleine tête pour qu’ils tombent. J’ai du mal à l’accepter. Je sais, en y réfléchissant, qu’il faudrait systématiquement avec eux utiliser des explosifs, ou bien les attendre pour les exploser au fusil à pompe à bout portant. Mais cet aspect complètement irréaliste me dérange. Les monstres aliens par contre c’est autre chose. J’apprécie beaucoup le fait que chacun d’eux nécessite une stratégie distincte. Les petits crabes dont il faut à tout prix éviter l’attaque initiale. Les petits cyclopes qui chargent leur attaque énergétique. Les espèces de chien qui s’approchent et tirent des ondes de choc…

J’apprécie l’aspect « plate-forme » du titre, avec ses nombreux sauts, et plus généralement le fait que l’environnement représente une menace permanente ; quand ce n’est pas le danger d’une chute qui nous guette, c’est celui d’une explosion, d’une eau radioactive, d’un incendie, etc. On doit en permanence composer avec l’environnement, notre survie réclame notre attention et ça aussi c’est très immersif, très engageant.

À la fin Calhoun parvient à fuir Black Mesa avec quelques scientifiques, en se téléportant. Une fin assez banale, même si juste avant d’atteindre notre destination, on atterrit à divers endroits à proximité de scènes fortes de Half-Life, sans que Gordon Freeman puisse nous voir. J’ai été content de faire ce Blue Shift. Cela m’a permis de redécouvrir Half-Life, les grandes qualités (uniques ?) de son challenge interactif, et les limites aussi en terme de narration que son concept induit. Je retiens cette impression de chercher mon rôle à jouer dans une pièce de théâtre. Je pense que c’est cette grande responsabilité laissée au public qui fait qu’on accroche autant. On est face à un vide à combler de façon logique par rapport aux quelques élements que l’on nous donne. On est beaucoup plus actif ici (intellectuellement) que dans de nombreux autres vidéogiciels, particulièrement chez les FPS. La mission ne nous est pas donnée toute cuite, il faut d’abord la dénicher, en explorant un environnement aux multiples dangers, en étant attentif aux propos entendus. Et une fois énoncée, elle ne nous est pas rappelée, il faut la retenir et la mettre à exécution, et le « comment » est encore toute une histoire. Mais en contrepartie, on n’incarne pas vraiment le personnage ; plutôt un acteur qui doit jouer son rôle – un rôle trop souvent de larbin qui dit oui à tout – et qui n’a pas le droit d’ouvrir la bouche.

Cette extension ne révolutionne pas du tout la proposition d'origine, mais cela faisait très longtemps que je n'avais pas pratiqué Half-Life et cela a été un vrai plaisir de la redécouvrir et de réfléchir à ce qu'elle produit en terme de challenge (passionnant) et de narration (limitée). L'aventure en soit est plutôt timide, mais le concept de base est tellement puissant et la durée si modeste que je ne peux bouder mon plaisir.
Verdict = dispensable | ok | vaut le coup ! | énormissime

 

Note(s)

  1. ^ Présentation du magasin Steam.

 

Galerie d’images

01
On retrouve toutes les options de configuration de la version PS2 de HALF-LIFE. Le moddeur en a même ajouté de son cru, comme par exemple ici la possibilité d’affecter à une touche de la manette la reprise en main de la dernière arme utilisée (« Last W. » pour « last weapon »).
02
On peut savoir entre trois « saveurs » de HALF-LIFE : PS2, PC ou Dreamcast. J’imagine que cela joue sur les particularités visuelles de chaque version, comme la colorimétrie, l’usage de certains modèles 3D plutôt que d’autres, etc.
03
À plusieurs reprises on aperçoit Gordon Freeman, le héros de HALF-LIFE. Il reste muet comme une carpe. C’en devient drôle puisqu’on le voit même croiser un collègue qui lui dit bonjour sans lui répondre, en l’ignorant totalement.
04
Au début de notre journée à Black Mesa, en tant qu’agent de sécurité, on doit se rendre aux vestiaires pour s’équiper. J’aime cet aspect très immersif de nous mettre dans la peau d’un personnage avec un job précis, sans nous signifier à grosses lettres à l’écran tout ce que l’on est censé faire.
05
En s’approchant des gens on peut écouter leurs conversations. Évidemment ça c’est avant que la situation dégénère à Black Mesa.
06
Les éléments interactifs sont signalés avec ces gros crochets jaunes bien visibles.
07
Un exemple de petite énigme de progression : le chemin en bas était fermé par une grille avec des barils explosifs derrière. En prenant de l’altitude, on trouve un angle de tir permettant d’exploser les barils et ainsi ouvrir un passage.
08
Cette créature me fait beaucoup, beaucoup penser à l’un des monstres du film THE THING de John Carpenter (son ventre s’ouvre sur une mâchoire béante). Horrible ! Oui sa tête est floue sur la photo, malheureusement.
09
La photo d’un bébé des développeurs (j’imagine) planquée derrière la porte d’un casier.
10
L’univers de HALF-LIFE peut être glauque et effrayant. Exemple ici avec une salle plongée dans l’obscurité dans laquelle on découvre, à la lumière de notre lampe, les corps de scientifiques assassinés. Le mutisme de notre personnage accentue l’atmosphère pesante de la base après l’accident.
11
Les textures sont floues (voir le sol ici) mais j’ai trouvé le VG joli quand même. Quel plaisir de pouvoir le parcourir sur PS2.
12
J’aime le fait que l’on doive prêter une attention significative à son environnement. Si je m’approche trop près de ces tuyaux brûlants, je perds de la vie !
13
Un exemple de créature alien assez malaisante. J’aurais dû allumer la lampe pour qu’on le voie mieux.
14
Ces affreux petits crabes nous sautent au visage, souvent par surprise quand on entre dans une pièce ! On les tue rapidement mais j’ai trouvé cela difficile d’éviter leur attaque initiale. En fait il faudrait entrer en courant tout droit, pour esquiver leur premier assaut, puis se retourner pour les canarder. Mais comme l’environnement est dangereux et que l’on est donc enclin à une grande prudence, ce n’est pas une pratique simple à adopter.
15
Le VG dispose même d’une option écran large ! Quelle classe.

 

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